Chômeurs, immigrés sans titre de séjour, jeunes relégués des cités, travailleurs précaires, personnes en situation de handicap ou sans domicile fixe… La vulnérabilité, dans nos sociétés, présente de nombreux visages. Chacun d’eux constitue une expérience singulière de la fragilité ou de la dépendance, de la domination presque toujours, dans une société individualiste qui tend à rendre chacun responsable de sa vie et de son destin. En l’espace d’une décennie, la vulnérabilité est devenue une notion centrale dans la réflexion sociale et politique. Être vulnérable, c’est pouvoir être blessé, porter ce risque. Blessé physiquement. Blessé moralement et psychiquement. Ou blessé socialement quand on est mis au ban de la société.
Dans cette attention portée à la vulnérabilité, les théories du care ont joué un rôle très important en mettant en lumière ce que notre société tend à garder dans l’ombre : la prise en charge des personnes dépendantes et vulnérables, personnes âgées, malades, enfants… Non rémunéré quand il est domestique, mal rétribué quand il est un métier, souvent assuré par les femmes ou par des immigrés, le travail de care est souvent invisible ou dévalorisé. Les théories du care plaident pour une société qui reconnaisse et valorise davantage ces « care-givers », mais aussi ceux qui en dépendent. Comment mieux les considérer ? Faut-il parler en leur nom ? Certes, ils sont fragiles, en difficulté et ont besoin d’aide. Mais comment échapper au paternalisme et à l’assistanat ? « L’un des enjeux du care est en effet de mettre fin à la dépendance et non pas d’en faire un état permanent », explique Joan Tronto, l’une des plus importantes théoriciennes du care. Une visée que partage la philosophe Martha Nussbaum qui, pour penser la justice, entend tenir ensemble autonomie et vulnérabilité. Pour cela, il faut selon elle valoriser l’« agency » des individus : en faire des sujets actifs, agents de leurs choix et de leur libération. M. Nussbaum critique la théorie de la justice de John Rawls dans laquelle l’homme est pensé abstraitement, comme un être rationnel et autonome. À la suite d’Amartya Sen, elle soutient qu’il faut penser à partir des capabilités, autrement dit des possibilités effectives offertes à un individu donné. Il faut offrir à tous les moyens d’être actifs et d’être libres, ce qui suppose de prendre en compte les conditions réelles d’existence de chacun.