Lanceur d'alerte : traître ou héros ?

Manning, Snowden… Les lanceurs d’alerte passent souvent dans les médias comme des superhéros de la démocratie. Un costume mal taillé pour des hommes et des femmes qui encourent des risques et qu’il faut pouvoir protéger.

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La notion de lanceur d’alerte est indéniablement à la mode. Swissleaks, Luxleaks, Panama Papers : la liste des scandales révélés par ces figures modernes a de quoi donner le tournis aux puissants. En la matière, comme dans d’autres, les mots sont importants. Car, aux sources de la notion il y a une querelle lexicale : la création du mot whistleblower (celui qui souffle dans le sifflet) en 1972 par Ralph Nader visait à légitimer le rôle de ceux-ci en leur accordant un qualificatif distinct de ceux de traître et de délateur. Il en est de même en France avec le terme de « lanceur d’alerte », inventé par François Chateauraynaud et Didier Torny dans leur ouvrage Les Sombres Précurseurs, paru en 2000. Or, si le lanceur d’alerte apparaît désormais assigné à une fonction légitime en démocratie, celui-ci fait toujours, en pratique, l’objet de sanctions pour son action, comme l’a montré récemment la condamnation d’Antoine Deltour, le lanceur d’alerte des Luxleaks (où étaient révélés des accords fiscaux très avantageux accordés à certaines multinationales).

Ce paradoxe tient au caractère éminemment ambivalent de la démarche du lanceur d’alerte. Tout acte de porter l’alerte constitue un acte de déviance à la norme car celle-ci constitue à la fois une forme spécifique de dénonciation, et une forme particulière de désobéissance. En effet, d’une part, l’alerte vise à dénoncer un risque portant atteinte à un intérêt collectif (santé, sécurité, environnement, etc.) ou aux droits de l’homme. Elle signale toujours des pratiques malhonnêtes, immorales ou jugées illégitimes. Mais, à la différence du délateur, le lanceur d’alerte n’est pas seulement dans une logique d’accusation mais aussi et surtout dans une volonté que le risque dénoncé soit pris en considération. Dans le même temps, le lancement d’alerte est une forme particulière de désobéissance à l’ordre établi. En ce sens, le juriste américain Robert Vaughn a souligné la similitude des notions de désobéissance civile et de lancement d’alerte, car, selon lui, la désobéissance à un ordre et le refus de maintenir le silence sont les deux faces d’une même médaille  1. Toutefois, il existe des différences entre désobéissance civile et alerte car le lanceur d’alerte ne vise pas à obtenir un changement d’ordre politique, mais à faire en sorte plus modestement que soit mis un terme à ce qui lui semble être un comportement ou une action contraire au bien commun. Autrement dit, le lanceur d’alerte n’est pas en rupture avec l’ordre établi : il veut le préserver et le faire évoluer pour assurer sa sauvegarde. Délateur sans l’être, désobéissant pour mieux obéir à des valeurs supérieures, la figure du lanceur d’alerte est de ce fait difficilement saisissable par les catégories traditionnelles de la liberté d’expression.