Le blé, ferment d'une nouvelle économie Rencontre avec Steven Laurence Kaplan

L’historien américain Steven L. Kaplan rappelle l’importance du blé comme levain des « Lumières économiques » des années 1760.

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Éditions Fayard> Steven Laurence Kaplan

Il est né à Brooklyn en 1943, historien et universitaire américain, professeur à l’université Cornell. Spécialiste de l’histoire sociale, il a publié notamment Le Meilleur Pain du monde. Les Boulangers de Paris au 18e siècle, Fayard, 1996 ; La Fin des corporations, Fayard, 2001 ; Le Pain maudit. Retour sur la France des années oubliées, 1945-1958, Fayard, 2008. Dernier ouvrage paru : Raisonner sur les blés. Essais sur les Lumières économiques, Fayard, 2017.


« Vers l’an 1750 la nation rassasiée de vers, de tragédies, de comédies (…) se mit enfin à raisonner sur les blés », écrit Voltaire. Une phrase qui résume bien, selon l’historien Steven L. Kaplan, l’avènement des Lumières économiques et la volonté de nombreux philosophes de libérer le marché des blés des contraintes gouvernementales qui pesaient sur lui. Si le libéralisme économique fut à la mode, il fut aussi vivement critiqué, notamment parce qu’il provoqua de graves disettes et de nombreuses révoltes populaires.

Pourquoi, selon vous, l’économie politique naît-elle en France autour de la question des blés ?

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On ne peut pas vraiment dire que l’économie politique « naît » à ce moment-là. La pensée économique existait déjà au 17e siècle, et même bien avant. Au 18e siècle, une série de changements idéologiques, culturels et matériels apparaissent en Europe. C’est une période de grande contestation politique, en particulier de l’absolutisme, mais aussi de la propension de l’État à faire constamment la guerre, entraînant une brutalisation de la société, enfin de la volonté de l’Église de réimposer sa tutelle, tant morale que religieuse. C’est aussi une période d’innovations technologiques (textiles, métaux). Dans cet âge européen des Lumières, un tournant économique se dessine. Tout le monde pense et parle « économie » : on crée des sociétés « économiques » ; on fabrique des marchandises « économiques » ; des méthodes « économiques » s’insinuent dans tous les domaines. Grâce à l’économie, on pensait pouvoir modéliser le corps social et redéfinir la notion de gouvernance.