Il y a peu encore il n’était qu’un sujet de roman, mais à présent le bonheur est partout : la médecine, la sociologie, la psychologie, l’économie en ont fait un objet d’étude. Sans doute cette invasion eudémonique – en grec, langue natale de la philosophie, le bonheur se dit en effet eudaimonía – s’explique-t-elle par la contradiction toujours plus fortement ressentie entre notre désir de bonheur, que l’on estime légitime, et la difficulté à l’obtenir, qui nous paraît injuste.
Ce que nous considérons comme notre droit au bonheur se heurte à la réalité. Nous avons associé la démocratie, la justice, la technologie ou la nature à l’idée de bonheur. Or, nous constatons qu’elles ne suffisent pas à le garantir : la démocratie n’exclut pas le conflit, la nature est un foyer de craintes et les nouvelles techniques génèrent des dépendances inédites. Sans doute aussi l’effondrement des autorités, celles de l’Église, de l’État, du savoir et du politique, a-t-il pour conséquence de nous laisser à nous-mêmes, sans repère précis mais avec le besoin inapaisé d’en reconquérir. Dans un tel monde, il nous revient désormais de satisfaire, par nos propres ressources, notre désir persistant, souvent affolé, d’enchantement.
L’âge du « flow »
Nous sommes donc désormais condamnés à chercher à l’« intérieur » et non plus à l’« extérieur » de nous-mêmes de quoi satisfaire notre revendication à être heureux. À présent, c’est en désespérant du monde que l’on peut parvenir à espérer en soi. Et face à cette nouvelle donne, la théorie la plus enthousiasmante paraît être celle du flow (ou flux) de la psychologie positive.