L’hiver 2015-2016 a été marqué par plusieurs scandales dans les abattoirs. Des images de la mise à mort d’animaux de boucherie, tournées clandestinement pour le compte de l’association L214, ont été largement diffusées par les médias. Toute la société s’est dite choquée par la violence du traitement de ces bêtes. Pourtant, il n’y avait rien de fondamentalement nouveau dans ces vidéos. On sait bien qu’un animal va tout faire pour éviter de se faire trancher la gorge. Qui peut donc ignorer qu’il faut user de violence pour le saigner ? En outre, cela faisait des années que des vidéos similaires circulaient sur Internet, toutes plus horribles les unes que les autres. Du coup, pourquoi les médias ont-ils considéré que ces images constituaient une information à mettre en une ?
Si la nouveauté n’est pas dans le contenu de l’information, elle ne peut être que dans la perception de ce dernier. Ici, c’est le rapport de la société à la violence qui a changé. Dans sa récente histoire de la question végétarienne, le chercheur Renan Larue évoquait le « processus de civilisation », analysé par le sociologue Norbert Elias, pour rendre compte du fait que, de nos jours, la plupart des consommateurs de viande ne veulent plus voir un animal se faire maltraiter et tuer 1. C’est la raison pour laquelle la violence qui s’exerce derrière les murs des abattoirs leur est désormais cachée. Ce stratagème leur permet d’oublier qu’un steak provient d’un animal qui a lutté pour sa survie. Mais voilà, les vidéos de L214 ont joué le rôle de piqûre de rappel. D’où l’émoi qu’elles ont provoqué.