Le devoir et la grâce Cyril Lemieux

Le devoir et la grâce Cyril Lemieux

Un « programme fort » pour les sciences sociales, voilà ce que propose Cyril Lemieux dans cet intrigant ouvrage. À travers les 189 propositions qui, en quelques lignes, expriment l’essentiel de la démonstration, et les 77 scolies intercalées qui approfondissent le raisonnement, le chercheur, jusque-là plus connu pour ses travaux sur les médias (Mauvaise presse, 2000), plaide pour qu’anthropologues, sociologues et autres historiens renouent avec une vision universelle de l’homme. C. Lemieux ne se satisfait guère, en effet, de « l’hyperlocalisme » et de « l’hyperconstructivisme » dont fait preuve une bonne partie de la production dans ces domaines car ils laissent aux sciences naturelles (biologie, neurosciences, théories de l’évolution...) le monopole du discours sur ce qu’il y a de commun à tous les êtres humains. Les sciences sociales seraient-elles donc incapables de parler de l’homme, qu’il soit d’ici, d’ailleurs ou d’hier ? C’est ce qu’entend démentir Le Devoir et la Grâce.

Trois grammaires

L’audace de C. Lemieux consiste à faire l’hypothèse que toutes les actions humaines peuvent être classées au sein de trois « grammaires », c’est-à-dire des « ensembles de règles à suivre pour être reconnu, dans une communauté, comme sachant agir et juger correctement ». La première grammaire, dite « naturelle », désigne la capacité à aimer, à être ami, à agir dans la logique du don. La deuxième grammaire, dite « réaliste », regroupe les comportements stratégiques et la capacité à percevoir la limite d’une situation : que celui avec qui je parle a un statut supérieur au mien, que certaines choses ne peuvent être dites, que l’on manque de temps ou de moyens pour accomplir certaines actions, qu’il faut « calculer », « anticiper », « se méfier »… La troisième grammaire, dite « publique », consiste à porter un jugement moral ou à se plaindre d’une injustice. Elle est celle dans laquelle peuvent être discutées les règles.