Le nouvel imaginaire de la domesticité

Dans l’imaginaire collectif, la figure du domestique renvoie aux siècles passés. Pourtant, gouvernantes et majordomes exercent toujours au service des grandes fortunes. Plus troublant, ils opèrent aujourd’hui un retour en force dans les films et romans.

16759622570_TWI.webp

Rêvons-nous de nous faire servir ? Ou peut-être, au contraire, redoutons-nous d’avoir un jour à servir les autres ? En toute hypothèse, le sujet fait écho. Témoin, Alizée Delpierre qui en septembre dernier publie Servir les riches (La Découverte, 2022) au terme d’une enquête immersive de plusieurs années, largement relayée par les médias 1. Dans cet ouvrage sur « Les domestiques chez les grandes fortunes », la sociologue met en lumière ces « gouvernantes, majordomes, femmes de chambre et de ménage, lingères, nannies, cuisiniers ou chauffeurs », bref, ce « personnel invisible » que dissimulent « les façades de luxueux immeubles parisiens, les immenses grilles de châteaux, les baies vitrées de vastes villas de la Côte d’Azur ». Elle-même a exercé les fonctions d’aide-cuisinière et de nounou à raison de quelques jours par semaine ; elle a suivi une formation spécialisée destinée aux candidat·e·s à la domesticité dans les grandes maisons. Entre employeurs multimillionnaires et employé·e·s de maison, la spécialiste du care éclaire ainsi les ressorts d’une « cohabitation improbable ». Pourquoi avoir choisi un terrain aussi spécifique, aussi circonscrit ? La situation paraît peu représentative des pratiques actuelles : seule une infime fraction de la population occidentale emploie du personnel de maison, « quelques milliers de foyers en France », estime la sociologue. Désuet ? Auprès du grand public, « mes recherches sur ce terrain suscitent l’étonnement, observe-t-elle. On me dit : “Ah bon, ça existe encore ?”, comme si ce mode de vie appartenait au passé. » Caractéristique des mœurs des ultrariches, cet éloignement apparent suscite « une forme de fascination », suggère A. Delpierre. Pourtant, dans ce premier quart du 21e siècle, le huis clos ancillaire n’est pas si décalé qu’on pourrait le croire. D’abord, parce que les inégalités économiques entre les individus se creusent.

Relation intime et familiale

Comme le montrent, entre autres, les enquêtes « Patrimoine » de l’Insee, le nombre des grandes fortunes augmente en France (et dans la plupart des autres pays, développés ou non). « Il y a de plus en plus de très riches », résume l’économiste Pierre-Noël Giraud, auteur de L’Inégalité du monde (rééd., 2019). Or, l’emploi de domestiques apparaît très directement corrélé à la richesse. Pour ultraminoritaire qu’il soit, le phénomène correspond donc à une tendance émergente, non à un anachronisme en voie de disparition. En 2018, Le Figaro publiait déjà un article sur « Le grand retour des domestiques dans la société française » 2.