Le paradoxe de l'abondance

Notre société moderne met une quantité d’objets et d’opportunités à notre portée. Au risque de nous transformer en éternels indécis.

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Deux cent trente sortes de soupes, 285 variétés de cookies, 125 types de vinaigrettes à salade et 40 modèles de dentifrices. C’est ce qu’a inventorié le psychologue américain Barry Schwartz dans le supermarché à côté de chez lui 1. Comme lui, nous sommes confrontés chaque jour à une avalanche de suggestions, lorsque nous faisons nos courses ou choisissons un film par exemple. Selon une étude menée en 2016 auprès de 2 000 consommateurs américains de Netflix, ces derniers mettraient en moyenne 18 minutes à choisir un programme avant de se décider. C’est 2 fois plus de temps que pour les utilisateurs du câble (9 minutes en moyenne). L’année dernière, des politistes américains ont également montré que, plus il y a de candidats à une élection, plus les citoyens ont tendance à ne pas lire les programmes politiques par peur de se noyer dans une masse d’informations 2. Les votants ont consacré en moyenne 25 secondes à chaque programme lorsqu’il n’y avait que 3 candidats, alors que la majeure partie ne les a pas regardés quand il y en avait 12.

En théorie, l’abondance devrait servir notre bien-être et notre épanouissement. Mais de nombreux travaux empiriques confirment que ce n’est pas le cas – ce que B. Schwartz appelle le « paradoxe du choix ». Conférencier et enseignant à l’université du Québec à Montréal (UQAM), Denis Monneuse a voulu vérifier cette théorie en l’appliquant aux sites de rencontre en ligne 3. En interrogeant un panel d’utilisateurs pour les besoins d’une étude exploratoire, il est parvenu aux mêmes conclusions : non seulement avoir accès à un large choix de candidats peut se révéler stressant et paralysant, mais cela augmente le temps de décision de celui qui doit choisir, ce qui a pour effet de repousser son choix. Une fois que l’une des deux personnes a pu se décider, cette dernière va forcément avoir des attentes importantes vis-à-vis de l’autre. Des exigences justifiées au vu des choix auxquels elle a dû renoncer, mais aussi à cause du temps qu’elle a consacré à sa décision.

« Bataille de l’attention »

La question du choix se pose désormais dans tous les domaines et à tous les âges de l’existence : orientation de métier, conjoint, lieu de vie… B. Schwartz explique qu’il donne désormais environ 20 % de travail en moins à ses étudiants qu’au début de sa carrière. Non pas parce que ces derniers seraient moins intelligents, mais parce qu’ils ont plus de choix à faire au quotidien et donc moins de disponibilité pour travailler. « Avant, le seul choix de vie que vous aviez, c’était de savoir avec qui vous alliez vous marier, donne-t-il en exemple. Aujourd’hui, mes élèves se demandent : dois-je me marier maintenant ? Dois-je avoir d’abord des enfants ou privilégier ma carrière ? », etc. Chaque matin lorsqu’on se réveille, conclut-il, on ne décide plus seulement quels vêtements on va porter, mais plus généralement quand et à quel moment nous décidons d’entamer une nouvelle étape structurante de notre vie.