Le père, le fils et l'esprit d'entreprise

L’entreprise familiale comporte de nombreux atouts : confiance, rareté 
des conflits, relative stabilité de l’emploi… Mais deux dangers la guettent : les aléas de l’héritage et la faiblesse en capital-risque.

À l’heure de la mondialisation des échanges et de la globalisation financière, l’entreprise familiale pourrait faire figure d’anachronisme. Et pourtant, non seulement elle existe encore, mais elle résiste plutôt bien à la crise et connaît même un « retour en grâce » dans des publications académiques. Qu’en est-il réellement ? Quelles sont les forces et les faiblesses de ce mode de propriété et d’organisation productive ?

Qu’est-ce qu’une entreprise familiale ?

Faisons un tour du côté des définitions, pour constater sur le champ qu’il en existe de nombreuses… Une entreprise peut être « familiale » sous deux aspects au moins : parce que le capital est aux mains d’une ou de plusieurs familles, ou parce que sa direction est assurée par un membre de la famille du fondateur.

Dans le premier cas, celui du capitalisme familial, reste à savoir ce que l’on appelle famille, particulièrement dans un monde où séparations et recompositions sont légion. De même, si deux familles se partagent la propriété, est-ce encore du capitalisme familial ? Ensuite, à partir de quelle part du capital peut-on qualifier l’entreprise de « familiale » ? Si l’on exige la majorité, alors bien peu d’entreprises entrent dans cette catégorie… Enfin, quelle temporalité doit-on considérer ? Une ou plusieurs générations ? Il y a presque autant de réponses à ces questions qu’il y a d’auteurs. Puisqu’il faut choisir, nous retiendrons une définition assez large, mais qui conserve sa spécificité à l’entreprise familiale : est considérée comme familiale toute entreprise dont le contrôle de droit ou de fait est exercé par les membres d’une ou plusieurs familles (en nombre limité) sur une ou plusieurs générations, que la direction de l’entreprise soit confiée ou non à un membre de la famille du fondateur.

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Ceci posé, il s’avère que la France est l’un des pays européens où le poids des entreprises familiales est le plus élevé : elles représentent plus de 60 % du parc national. Bien sûr, ce sont des entreprises de toutes les tailles, depuis les très petites entreprises jusqu’aux firmes multinationales. Plusieurs entreprises du Cac 40 sont familiales : Bouygues, Pernod-Ricard, L’Oréal, Lagardère, Danone… Au niveau de l’Europe occidentale, elles sont là aussi d’un poids non négligeable, puisqu’elles réalisent environ la moitié de la production de richesses, et emploient également la moitié de la population active.

Wendel, Michelin, Peugeot : il existe en France des dynasties d’entrepreneurs bien connues pour leur longévité. On estime à environ 1 200 les entreprises familiales dont le capital est détenu par une même famille depuis plus d’un siècle, principalement concentrées dans les secteurs de la production et la distribution d’alcools, dans le textile et dans la confiserie. Au Japon, la plus vieille entreprise au monde, la maison Hoshi, créée en 771, est familiale, et dirigée actuellement par la 46e génération de la famille fondatrice. Au niveau international, des firmes comme Wal-Mart et Ford aux États-Unis, Samsung en Corée du Sud, Fiat en Italie ou encore BMW en Allemagne ont été ou sont encore des entreprises familiales. A priori, rien ne prouve que ce genre de structure soit un frein à la réussite et à la croissance. Pourtant, on sait qu’elles sont exposées à deux menaces, capables de les mettre en péril alors même que leur activité est florissante. Tout d’abord, il est possible que, à des fins de développement, l’entreprise ait besoin d’accroître son capital social, mais que les actuels propriétaires ne disposent pas des fonds nécessaires pour cela. Dans ce cas, l’entreprise pourra chercher de nouveaux investisseurs, et les propriétaires familiaux devenir tellement minoritaires que l’entreprise ne pourra plus être considérée comme familiale. Par ailleurs, lors de la transmission du capital d’une génération à la suivante, il arrive que les héritiers, souhaitant se désengager de l’activité en question pour se lancer dans d’autres projets, vendent leurs parts. Évidemment, la disparition d’une entreprise familiale peut aussi être consécutive à sa liquidation ou à son rachat suite à un dépôt de bilan. Et dans ce cas, la question est de savoir quelles sont les forces et les faiblesses spécifiques à l’entreprise familiale ?