B comme biologie
Pourra-t-on changer le vivant ?
On imagine souvent le futur dominé par la machine. Pourtant les sciences du vivant ont connu cette dernière décennie un développement fulgurant qui pourrait mettre en cause cette vision simpliste.
Une nouvelle science, la biologie de synthèse, redéfinit de manière radicale notre rapport au vivant. D’une certaine manière, la machine et l’ordinateur sont toujours là, mais sur un plan plus théorique. En effet, les nouveaux biologistes considèrent l’ADN comme un « langage de programmation » constitué d’instructions qu’il suffirait d’aligner pour obtenir de l’organisme créé ou modifié le comportement souhaité. Pour parvenir à ce but, les biologistes de synthèse ont imaginé une espèce de « norme », les biobricks, c’est-à-dire des portions du code génétique donnant un résultat spécifique et prévisible. À terme, ils espèrent programmer l’ADN en assemblant ces biobricks comme des espèces de Lego. Des « programmeurs » d’un nouveau genre pourraient s’y adonner sans connaissances avancées en sciences de la vie.
Outre les biobricks, d’autres progrès notables ont été accomplis, notamment en matière de coût et de facilité d’utilisation. Le prix de séquençage du génome est passé de centaines de milliers d’euros à moins de 1 000 et, aujourd’hui, rien n’empêche un particulier de s’adresser à une société comme 23andMe pour obtenir une importante portion de son code génétique contre la modique somme de 99 dollars. Mais surtout, une découverte effectuée en 2012 par l’Américaine Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier devrait considérablement faciliter l’ingénierie génétique. La technologie du CRISPR/Cas9, une espèce de système permettant de « couper/coller » aisément des portions du génome réduit considérablement les exigences pour ce genre d’opération. Alors que les techniques traditionnelles d’ingénierie exigent environ 5 000 dollars, on peut faire la même chose avec CRISPR pour 30 dollars. Mais surtout, cette procédure est plus puissante : on peut ainsi plus facilement s’attaquer au génome des mammifères, et notamment celui des êtres humains ! Ce qu’a fait une équipe chinoise en 2015 1 qui a pu modifier les gènes d’embryons humains. Cela donne de grands espoirs dans le domaine des thérapies géniques, mais suscite évidemment de nombreuses inquiétudes.
Cette biologie future pourrait aussi changer radicalement notre rapport à l’écosystème. Pour exemple, le projet de « déextinction » se propose ainsi de ressusciter des espèces disparues comme les dodos ou les mammouths. Un véritable Jurassic Park, mais sans les dinosaures (dont l’ADN fossilisé est trop ancien pour être réutilisable). Il y a quelque temps, l’un des chefs de file de la biologie synthétique et partisan de la déextinction, George Church, sembla affirmer dans un entretien pour un journal allemand, qu’il envisageait de faire renaître un homme de Neandertal via une mère porteuse Homo Sapiens ! Mais G. Church nia par la suite, mettant ces propos sur le compte d’une mauvaise traduction. Ce qui ne l’empêche pas, dans son livre Regenesis (2012), écrit avec le journaliste Ed Regis, d’imaginer de futures modifications de notre espèce, comme donner à nos descendants un organisme basé sur des protéines dextrogyres (c’est-à-dire polarisant la lumière vers la droite) alors que tout le règne du vivant sur terre repose sur des molécules lévogyres. Conséquence : les êtres humains ainsi modifiés seraient immunisés contre toutes les maladies.