Les familles homoparentales présentent aujourd’hui un visage éclaté. La diversité est de mise, que ce soit du point de vue du mode de conception de l’enfant (rapport hétérosexuel, adoption, insémination artificielle, gestation pour autrui) ou de la parenté : un ou deux parents de même sexe, coparentalité entre un gay – ou un couple – et une lesbienne – ou un couple – qui s’entendent pour mettre au monde et élever ensemble mais séparément un ou plusieurs enfants, soit d’un à quatre « parents au quotidien ». Toutes ces configurations ont néanmoins en commun de ne pas faire coïncider la réalité familiale (plus de deux parents, ou bien deux pères ou deux mères) avec la reconnaissance du droit. En France, un enfant ne peut en effet légalement avoir qu’une seule mère (1) et qu’un seul père, contrairement à de nombreux pays (Espagne, Pays-Bas, Belgique…) qui autorisent mariage et filiation pour les couples de même sexe. Le mouvement de revendication de l’égalité des droits accordés aux hétérosexuel(le)s et aux homosexuel(le)s montre cependant que si les lois agissent sur les individus, ces derniers ont aussi une certaine « capacité d’agir » sur les normes.
C’était l’intérêt d’enquêter, comme je l’ai fait, sur la parentalité lesbienne. Comment ces couples, d’où est absente la « différence des sexes » et où l’une des deux femmes n’a pas de statut parental légal, composent-ils avec l’hétéronormativité de nos sociétés, c’est-à-dire leur organisation autour des normes et pratiques hétérosexuelles ? La question est d’autant plus intéressante que ces couples croisent deux pratiques a priori contradictoires : le lesbianisme, socialement perçu comme une transgression du genre, et la maternité qui, à l’inverse, est un rôle socialement attendu des femmes. Se trouvent ainsi révélées par la marge les normes régissant « ordinairement » le couple et la filiation.
Le père, figure omniprésente
Les entretiens que j’ai réalisés et le descriptif du travail parental quotidien que ces mères ont accepté de faire pour cette enquête révèlent en particulier la prégnance de la question du père. Un père, une mère : la définition de la « vraie » famille, sans cesse rappelée par les institutions, les amis ou les membres de la famille élargie, est en partie intériorisée par ces femmes toujours suspectées de haïr les hommes. Certaines mères lesbiennes évoquent par exemple leur existence hétérosexuelle antérieure pour légitimer leur désir d’enfant : « L’idée de la maternité a fait son chemin de mon côté, sachant que j’ai un passé hétérosexuel (…). J’ai vécu longtemps avec un homme, dont j’ai été très amoureuse, et il y a eu un moment ou deux, dans cette vie commune, où j’ai pu ressentir un désir d’enfant », explique par exemple Sabine. Elle confirme par là le poids de « l’interdit de maternité » qui rend impensable, pour les lesbiennes elles-mêmes, la conjonction de l’homosexualité et du désir d’enfant.