Les conflits sont une réalité centrale des sociétés contemporaines. La France n'échappe pas à cette règle. Elle est le théâtre d'une multitude de conflits, localisés ou généralisés, d'ampleur variable, qui marquent quotidiennement la vie sociale. Dans la décennie écoulée, aucun secteur de la société n'a été épargné et de grands conflits ont aussi profondément affecté le système politique, comme les manifestations étudiantes de 1986 ou le mouvement de décembre 1995.
Qu'ils soient considérés comme le signe d'une crise de l'intégration sociale ou comme le vecteur du changement, les conflits sont inhérents à la vie sociale. De façon simple et empirique, on peut adopter la définition la plus courante, celle de March et Simon 1 : il y a conflit quand une décision ne peut être prise selon les procédures habituelles 2. Les conflits éclatent quand des demandes sociales, politiques ou culturelles ne peuvent être gérées par les mécanismes institutionnels. Ils sont donc un moyen privilégié de repérer et d'observer les changements et la permanence d'une société. Que nous disent-ils des évolutions de la société française ?
Des conflits, comme les manifestations étudiantes de 1986 ou le mouvement de décembre 1995, ont profondément affecté le système politique
S'ils n'occupent plus le centre de la vie sociale, les affrontements entre ouvriers et patrons dans les entreprises sont encore très fréquents. Simplement, ils ne débouchent plus sur de vastes confrontations politiques ou sur des mobilisations collectives généralisées, comme c'était encore le cas jusqu'au début des années 80. Régulièrement, le nombre de journées perdues pour fait de grève et de salariés impliqués dans des conflits se réduisent. Néanmoins, cette évolution globale ne doit pas masquer l'existence de conflits parfois très durs dans certains secteurs, comme le commerce de grande distribution ou le textile par exemple, secteurs où l'attitude du patronat est souvent jugée « rétrograde ».
La baisse de la conflictualité s'accompagne d'un changement dans la nature des conflits
La baisse de la conflictualité s'accompagne aussi d'un changement dans la nature des conflits : c'est surtout le thème de l'emploi qui est aujourd'hui dominant. Des entreprises et des secteurs entiers d'activité sont soumis à des restructurations qui se traduisent souvent par des licenciements et de la précarité ou des transformations du travail engendrant des réactions hostiles des salariés 3. On peut penser aux conflits qui ont fait suite à la suppression de 4 900 emplois par l'entreprise Michelin en 1991, ou encore à celui provoqué à Air France en 1993 à la suite de l'annonce de la suppression de 4 000 emplois. Mais ce thème place les syndicats dans des situations délicates. Il leur est difficile de concilier la défense des acquis de leurs adhérents tout en prenant en charge les inégalités de statut et les salariés en situation précaire. De plus, en raison du chômage, leur très faible implantation dans le secteur privé devient un handicap souvent insurmontable tant le rapport de force leur est défavorable.
Les conflits ont alors tendance à se localiser. Pendant longtemps, la centralisation nationale fut une règle. Depuis le début des années 80, le niveau local s'est découplé du niveau national. Les conflits sont de plus en plus entièrement conduits et traités au plus près des salariés impliqués. La plupart des grèves se rapportent à des mouvements qui ne concernent qu'un seul établissement en deçà du niveau de l'entreprise. Les particularismes locaux dominent et imposent leurs logiques. Les journées nationales d'action déclinent et ne parviennent plus à fédérer les salariés et les revendications. Il est alors de plus en plus difficile de parler d'un système de relation professionnelle tant la diversité est aujourd'hui devenue la règle 4.