Le retour des mercenaires

En Irak, la moitié des opérateurs de la coalition assemblée autour des États-Unis sont des sous-traitants du secteur privé, spécialisés dans les opérations militaires ou logistiques. En Russie, les sociétés de sécurité exercent leur influence sur des pans entiers de l’économie. En Afrique, les seigneurs de la guerre contrôlent des ressources de plus en plus importantes… La guerre, supposée être un monopole d’État, serait-elle en voie de privatisation ?

Le 16 septembre 2007, les employés de Blackwater USA, une société militaire privée (SMP) états-unienne, ouvraient le feu sur une foule de civils irakiens, faisant un minimum de 8 morts et 17 blessés… Cet événement provoqua une effervescence médiatique qui amena le gouvernement irakien, soutenu par les États-Unis, à interdire à Blackwater d’opérer sur son territoire. Mais Blackwater, de retour sur le terrain depuis, est loin d’être la seule SMP présente en Irak. Car le conflit irakien révèle aujourd’hui l’importance croissante prise ces dernières années par la privatisation de la sécurité et de certaines fonctions de défense, qui atteint un niveau inédit. En 2004, les sociétés militaires privées (SMP) – ou Private Military Companies – comptaient 20 000 hommes, soit le cinquième des forces américaines, ce qui en faisait le deuxième contingent en Irak. En 2008, il y aurait plus de 160 000 opérateurs privés, toutes nationalités confondues, soit près d’un opérateur privé pour un soldat américain. Ces sociétés militaires occupent une place désormais essentielle au sein du dispositif militaire des États-Unis.

L’externalisation du militaire, une rupture stratégique

Cet essor fulgurant est notamment le résultat de plusieurs années de réformes gouvernementales inspirées des théories économiques et pratiques managériales libérales en vogue dans l’Amérique des années 1980 sous les présidences de Ronald Reagan. En sous-traitant au secteur privé une partie des tâches traditionnellement remplies par les forces armées, il s’agissait de dégager des fonds permettant de moderniser l’appareil militaire, de développer et d’acquérir de nouveaux systèmes d’armes malgré les contraintes budgétaires.

À la fin de la guerre froide, la réduction du format des armées et des budgets de la Défense ont poussé le Pentagone à repenser son mode de fonctionnement. Dans ce contexte, des réformes des politiques d’achat de biens et de services avaient été très tôt expérimentées en établissant des partenariats technologiques et financiers. Signe d’un fort consensus idéologique au sein de la classe politique américaine, cette stratégie d’« externalisation » (outsourcing) et de réduction du champ d’activités de l’État fédéral a été poursuivie à l’arrivée au pouvoir des démocrates, suite à l’élection de Bill Clinton en 1993. En août 2002, le président républicain George W. Bush dévoilait à son tour son calendrier de réformes pour faire de l’externalisation le moyen d’améliorer l’efficacité de l’appareil de défense. Au final, plus de 3 000 contrats de services en opérations extérieures ont été signés entre les administrations successives et les opérateurs privés de services militaires entre 1994 et 2004, pour un montant de plus de 300 milliards de dollars.

(1) Le Pentagone avait projeté des économies de 6 milliards de dollars entre 2001 et 2003, puis de 2,5 milliards pour chaque année fiscale suivante. Les économies effectivement réalisées par la mise en concurrence ont été en fait 20 à 30 % moins élevées que les projections initiales.(2) Michael E. O’Hanlon, , The Brookings Institution, 2008.(3) Deborah Avant, « After Blackwater, four fundamental questions about our democracy », , 8 octobre 2007.(4) Peter W. Singer, , The Brookings Institution, 2007.