Le savoir en action. L'exemple médical

En médecine, il est indispensable de concilier connaissances théoriques et expérience pratique. Malgré l'évolution perpétuelle des savoirs, le praticien doit continuer à prendre les bonnes décisions et se forger un « savoir en action ».

Le cas de la médecine permet d'éclairer les difficultés, sinon les conflits, existant entre savoir théorique et savoirs pratiques. Cela tient à son essence même, à son histoire, aux multiples pratiques médicales et à la formation de ses professionnels.

La médecine revendique une base théorique scientifique depuis ses origines. Cette assise scientifique, affirmée avec force et parfois arrogance, s'est renforcée depuis le début du xixe siècle avec les écrits polémiques de Magendie et les travaux de son élève Claude Bernard. Mais elle se veut aussi une pratique qui, dans un souci d'efficacité, intègre tous les savoirs, même les plus archaïques et les plus populaires. Le savoir pratique a ainsi une importance capitale en médecine. N'appelle-t-on pas les médecins des praticiens ? Le terme est d'ailleurs aujourd'hui officiel : les médecins des hôpitaux publics portent le nom de praticiens hospitaliers.

L'histoire de la médecine est une succession d'oscillations entre la prédominance affichée d'un savoir théorique et des savoirs d'action sans référence théorique. Le but de la médecine étant l'efficacité opérationnelle, ce conflit n'a jamais véritablement gêné les médecins. Depuis la fin du xiie siècle, le savoir théorique avait élu domicile dans les universités et consistait en un discours sur la médecine et l'étude des textes sacrés. Les doctes professeurs, gardiens de ce savoir, se préoccupaient peu de médecine de terrain.

Le ou les savoirs d'action se retrouvaient entre les mains de charlatans, mais aussi de barbiers, au statut social incertain, plutôt bas. Et pourtant, les étudiants en médecine fréquentaient moins les bancs de l'université que les salles de malades où sévissaient les barbiers. Aux xive et xve siècles, les étudiants rejoignaient plus volontiers les barbiers de l'Hôtel-Dieu tout proche, au grand dam des professeurs de la docte université. Ceux-ci en appelèrent même à l'autorité royale pour empêcher de telles pratiques. Mais en vain.

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Lors de la révolution scientifique du xixe siècle et dans la première moitié du xxe, la médecine française fut essentiellement hospitalière, c'est-à-dire basée sur le savoir en action qu'est le soin aux malades. Certes, le savoir théorique jouissait d'un grand respect, mais tant l'enseignement que la recherche, filles de ce savoir, partaient de la pratique hospitalière. Les grands médecins n'étaient pas alors les professeurs de la faculté, mais les patrons des services hospitaliers.

A la fin des années 50, une réforme hospitalière mettra sur la même tête savoir médical théorique et savoir pratique. La création des Centres hospitalo-universitaires (CHU) unifiera le système. Dès lors, les médecins hospitaliers deviennent ipso facto professeurs de faculté, un même homme représentant les deux aspects conflictuels du savoir médical. Cet homme a pour mission les soins (la pratique), la recherche (le savoir théorique) et l'enseignement (la transmission de ces savoirs). Le conflit ne va pas cesser pour autant, il devient simplement interne. Les professeurs de médecine deviennent schizophrènes, glosant le matin, à l'hôpital, sur l'insuffisance des savoirs pratiques de leurs jeunes collaborateurs, déplorant l'après-midi à la faculté la raréfaction des étudiants à leurs cours ; tout ceci n'empêchant pas les étudiants d'acquérir cahin-caha, comme depuis la nuit des temps, et le savoir théorique et le savoir en action qui feront leur métier.