Alors que le féminisme des années 1970 se développe à l’écart des institutions d’État et des partis politiques, les années 1980 marquent une « institutionnalisation » du mouvement. Le terme désigne l’entrée du féminisme dans des organisations publiques qui vont prendre en charge les causes auparavant portées par les mouvements sociaux : des services administratifs sont créés (ministère, services régionaux des droits des femmes), des associations jusque-là autonomes reçoivent l’appui et les subventions de l’État, une expertise féministe se développe grâce à l’émergence de recherches universitaires.
En France, les années 1980 marquent la montée en puissance de la cause des femmes au sein des services ministériels. Un ministère des Droits de la femme est créé en 1981, après l’élection de François Mitterrand. La militante féministe Yvette Roudy en prend la tête. Selon l’historienne Françoise Thébaud, Y. Roudy fait preuve d’une « ambition forte » pour les femmes : elle entend « déconditionner les femmes et les hommes ». L’initiative n’est pas inédite. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, un secrétariat d’État à la Condition féminine a existé, avec à sa tête la journaliste Françoise Giroud, mais les moyens étaient limités (seulement 22 collaboratrices régionales bénévoles). Le remaniement de 1976 a transformé ce secrétariat d’État à une simple délégation rattachée au Premier ministre. La nomination d’Y. Roudy, ministre déléguée aux Droits de la femme marque donc une double rupture : par le fait qu’il s’agit d’un vrai ministère ; par le profil même de la ministre, qui rompt avec ses prédécesseures.
Y. Roudy s’attache à promouvoir les femmes en tant que citoyennes, individus autonomes et travailleuses. Les questions matrimoniales l’intéressent moins que celles des discriminations professionnelles ou du sexisme. Y. Roudy n’a pas d’enfants et s’est forgé durant ses années de militantisme une vision marxiste de la condition féminine. Sa vision en faveur de l’émancipation des femmes du foyer se heurte à la conception profamiliale qui reste forte dans la société française et au sein de son gouvernement. Cette dernière est incarnée notamment par la secrétaire d’État à la Famille Georgina Dufoix et elle empêchera Y. Roudy d’accomplir pleinement ses projets pour les femmes.