En dehors d’effets d’annonces assez peu crédibles, le mouvement transhumaniste maîtrise-t-il son projet ? Pousser les capacités de l’être humain au-delà de tout ce qui est aujourd’hui concevable mène-t-il à le dénaturer ? Ou bien n’est-ce que le prolongement de sa liberté de faire de lui-même ce qu’il veut ? En 2013, Google crée sa filiale Calico dont la mission est de « tuer la mort ». Fin août 2020, le milliardaire Elon Musk (Tesla, Space X) met en scène sur YouTube l’implant d’une puce dans le cerveau d’un cochon. C’est le prototype d’une version humaine à venir : elle devrait rendre parole et mobilité aux personnes paraplégiques, plus exactement leur donner le contrôle de membres artificiels reliés à l’implant neural. Les deux projets, et bien d’autres, se réclament du transhumanisme. Mais existe-t-il, sous le fracas des annonces de ces grands acteurs du capitalisme mondial, un corpus théorique cohérent qui mérite le nom de philosophie transhumaniste ?
On comprend, en tout cas, les difficultés qu’il y a à se frayer un chemin dans la vaste littérature consacrée au sujet. D’une part, il faut composer avec une nébuleuse si diverse que l’on peine à en tirer un discours cohérent : « Les interrogations profondes et les propositions raisonnées, note le philosophe Gilbert Hottois, voisinent avec les spéculations les plus fantaisistes, les affirmations sans nuances et le marketing racoleur. » D’autre part, parce que le débat se réduit souvent à l’affrontement d’opinions pro et contra, où chaque camp construit son adversaire à sa mesure : « technophobe » versus « technolâtre ». Plusieurs ouvrages récents parviennent cependant à s’arracher aux agitations médiatiques et font une mise au point utile sur la question. C’est le cas de Philosophie et idéologies trans/posthumanistes (2017) de G. Hottois. L’auteur entend « prendre au sérieux » les idées transhumanistes, non pour y adhérer aveuglément, mais en clarifier la portée. Le transhumanisme, écrit-il, est « un courant d’idées qui encourage le développement et l’usage des technologies matérielles afin d’améliorer, augmenter, étendre indéfiniment les capacités et performances cognitives, physiques et émotionnelles de l’individu qui doit rester libre d’y recourir ou non ».