ans l'un des quartiers d'immigration périphérique de Boston, la directrice noire d'un daycare (sorte d'école maternelle) est au bord des larmes pour expliquer la situation de son école. Celle-ci est d'ailleurs évidente : sise dans un sous-sol d'immeuble, seule la cantine bénéficie de vasistas. Toutes les salles de classe sont d'anciens garages borgnes. La cour de récréation n'existe pas, les enfants utilisent le parking de l'immeuble. Là « enseignent » de très jeunes femmes, fort peu qualifiées et très mal payées, à des enfants d'immigrés fraîchement débarqués. Quelques kilomètres plus loin, l'école maternelle d'application de l'université de Brandeis ressemble à s'y méprendre à une école maternelle d'application française bien dotée, avec des petits espaces où trois ou quatre jeunes enfants peignent, discutent, jouent sous l'oeil attentif d'une institutrice en formation. Ordinateurs, cages à animaux, salle commune de motricité et de jeux, cour spacieuse et équipée complètent le tableau.
Ces deux exemples pris dans une seule ville illustrent la diversité de l'école américaine. On pourrait faire de tels constats dans la plupart des pays du monde, en l'accentuant même dans les pays où le spectre scolaire va des écoles d'élite à l'occidentale jusqu'à des écoles de brousse temporaires... ou, bien sûr, à pas d'école du tout. La Chine, l'Inde, la plupart des pays d'Asie du Sud-Est, d'Afrique ou même d'Amérique du Sud abritent de tels contrastes scolaires. On mesure très concrètement ces différences en parcourant le livre Les Mondes de l'école 1, que deux photographes ont ramené tout récemment d'un grand voyage dans les écoles du monde. Dans une classe chinoise (probablement une école privée), de jeunes élèves sont alignés en rang d'oignons derrière leurs ordinateurs. Face à eux, le professeur explique, grâce à son épiscope, l'alphabet latin des touches de leurs appareils. Au Pakistan, un maître âgé tient la main de l'enfant qui va calligraphier son alphabet arabe : on est probablement dans une école coranique. Au Cameroun, Simplice Lemesso, l'instituteur, est seul enseignant pour une école à deux classes de 55 élèves, et quatre niveaux : « Il court entre les deux salles de classe pour assurer simultanément quatre leçons pour les quatre niveaux de l'école. »
Les différences scolaires dans le monde ne sont pas que de formes et de structures 2. Selon l'endroit où l'on se trouve, la pédagogie, les fondements identitaire, religieux, politique, le choix des connaissances à acquérir varient parfois nettement. Ces différences ne sauraient pourtant masquer l'existence de grandes similitudes et d'une tendance historique à la convergence des formes scolaires. La première des régularités est la scolarité elle-même. En effet, la grande nouveauté du xxesiècle réside en ce fait simple : aujourd'hui, sauf exception, les petits humains passent au minimum cinq ans à l'école, et pour la majorité d'entre eux huit ou neuf ans. Tous ces écoliers, élèves du secondaire et, de plus en plus aujourd'hui, étudiants (près de 80 millions sur la planète) fréquentent des écoles dont la forme et les structures sont fondamentalement identiques et relèvent de quelques modèles apparus en Europe lors de la grande révolution scolaire menée de la Renaissance au xixe siècle. Ils se sont propagés dans le processus de colonisation de la planète achevé à la fin du xixe siècle, ont été imités dans des pays comme le Japon ou la Chine, et servent toujours d'horizon aujourd'hui.
Il a fallu apprendre à lire et à écrire au monde
De 1950 à 1997, tous niveaux confondus, selon les chiffres de l'Unesco, le nombre d'élèves dans le monde est passé de 252 millions, essentiellement concentrés dans les pays riches, à 1,154 milliard. Compte tenu de la faiblesse relative des enseignements secondaire et supérieur, on peut estimer que ce sont essentiellement des élèves « subissant » la scolarité obligatoire. Les efforts soutenus de la plupart des pays ont abouti à une croissance de 1,3 % des effectifs scolaires dans le monde, tous niveaux confondus, durant les années 80, et de 2,4 % de 1990 à 1996. Sur 270 millions de places nouvelles offertes de 1980 à 1996, 257 millions l'ont été dans le tiers-monde. Ainsi, malgré la croissance démographique, le nombre d'enfants non scolarisés dans le monde a légèrement baissé depuis dix ans : de 130 millions à 110 millions entre 1990 et 2000. Un tel constat masque de grandes disparités régionales : des pays comme le Ghana consacrent près d'un quart de leurs revenus à l'éducation, alors que d'autres comme le Cameroun ou le Burkina Faso ne s'en préoccupent guère. Il masque également une moindre scolarisation des filles dans quantité de pays et un nombre global d'analphabètes constant, évalué à 880 millions d'individus en 1999 3.