Les écologistes entrent dans l'arène politique

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Pendant la campagne présidentielle de 1974, les téléspectateurs découvrent René Dumont, un vieux monsieur sympathique, à l’éternel pull-over rouge, tout en contraste avec le personnel politique professionnel. Sa campagne intéresse d’autant plus qu’il sait être concret. Devant les caméras, il brandit un verre d’eau en expliquant que dans vingt ans, ce liquide sera une ressource précieuse. La plupart des commentateurs se gaussent. Aujourd’hui, le sourire a laissé place à l’angoisse : R. Dumont aura été prophétique.

En cette année 1974, le choix du tout nucléaire, qui doit remplacer les hydrocarbures, accroît les inquiétudes. À l’occasion des présidentielles, provoquées par la disparition brutale de Georges Pompidou, les écologistes entrent en scène avec leur candidat à l’Élysée. René Dumont, professeur d’agronomie, membre des Amis de la Terre, a déjà acquis une notoriété internationale. Il est largement sollicité par les pays en voie de développement. Ses cris d’alarme sont connus. Il s’est élevé dès 1966 contre la progression de la famine dans le monde. Tiers-mondiste passionné, il a parcouru la planète en tous sens et vient de publier L’Utopie ou la Mort. Ébranlé par les conclusions du Club de Rome dans lesquelles il retrouve beaucoup de ses pressentiments catastrophistes, il oriente ses analyses vers l’écologie, persuadé qu’il faut rompre avec le cercle vicieux de la croissance pour la croissance.

René Dumont dénonce le gaspillage dans les pays du Nord et souligne les menaces qui pèsent sur la planète : pollutions sous toutes les formes, dangers encourus par les écosystèmes, dégradation des sols, explosion démographique, malnutrition, épuisement des ressources minérales. Il en appelle à un changement radical en adoptant « un genre de vie, un style de vie, un cadre de vie, une qualité de vie tellement supérieurs à nos stupides égoïsmes. Une société plaisante, détendue, sereine, en harmonie avec la nature nous reste accessible ».

Alors que sa campagne électorale a rencontré un réel écho, ses résultats électoraux s’avèrent décevants : au soir du premier tour, le 5 mai, il ne recueille que 1,32 % des suffrages, soit 337 800 électeurs. L’actualité, néanmoins, favorise une sensibilisation grandissante à la cause écologiste, qui peut se prévaloir de 60 000 associations de défense de l’environnement. Lorsque le superpétrolier Amoco Cadiz s’échoue sur le littoral du Finistère et déverse 220 000 tonnes de pétrole sur la côte bretonne, la France entière vit à l’heure du drame breton et se sent concernée par ce trafic des tankers affrétés par des pavillons de complaisance qui échappent à toute règle. Cette catastrophe accélère la prise de conscience des Français sur la fragilité de l’écosystème. En 1978-1979, la contestation nucléaire se déplace en Bretagne contre le projet EDF d’implantation d’une centrale dans le Finistère, à Plogoff. Les opposants au projet s’organisent à la manière des paysans du Larzac. L’été 1979, une manifestation réunit 10 000 personnes. Comme pour le Larzac, il faudra l’élection de François Mitterrand en 1981 pour que les habitants de Plogoff aient gain de cause avec l’abandon du projet.

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En 1979, le Mouvement d’écologie politique (MEP) se constitue dans la perspective de l’élection présidentielle de 1981. À la suite d’une campagne très active au cours de laquelle Brice Lalonde sillonne le pays entouré d’un staff qui réunit les forces vives de l’écologie en France, il réalise un score plus significatif avec 3,9 % des suffrages exprimés, soit plus d’un million de voix. Cette fois, le mouvement écologique devient une force politique qui compte dans les jeux du pouvoir. Prenant successivement le nom de Verts, de Génération Écologie, et d’Europe Écologie, il gagne des élus à tous les échelons : des municipalités jusqu’à l’Assemblée européenne. 

19 avril 1974

René Dumont, candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1974, cherche à sensibiliser les téléspectateurs au manque d’eau à venir : « Nous allons bientôt manquer de l’eau et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse puisqu’avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera. »

© DOMINIQUE GONOT/INA/AFP