Les États-Unis dominent le monde

Les états-Unis sont devenus la seule puissance planétaire. économie, politique, culture... Quelles sont les origines, les réalités et les limites de cette puissance ?

Il y a une vingtaine d'années, la perception de la place des Etats-Unis dans le monde était bien différente de celle d'aujourd'hui. Elle correspondait à un déclin relatif au plan économique et à des reculs géostratégiques majeurs face aux pays communistes. Une illusion ne doit pas en chasser une autre. L'Amérique n'était pas en déclin irrémédiable il y a quinze ou vingt ans. Aujourd'hui, elle n'est pas toute-puissante. Sa puissance est bien réelle mais doit être considérée sur tous les registres pour être comprise. Bien que la domination militaire soit actuellement aveuglante en raison des circonstances liées au conflit contre l'Irak, la scène mondiale correspond en fait à une sorte de jeu d'échecs en trois dimensions interdépendantes (économique, culturelle et politique), mais pas identiques. Sur chacun des registres, l'Amérique domine, mais pas de la même façon : sur la scène économique, les Etats-Unis sont l'un des trois acteurs majeurs, mais ils ne dominent pas outrageusement ; en matière culturelle, la diffusion des produits n'aboutit pas à une uniformisation mais à des hybridations et des recréations culturelles multiples ; en matière politique, ils ont été conduits à devenir la seule réelle puissance planétaire, mais ils ne se comportent pas en empire territorial et ne peuvent agir (sauf circonstances exceptionnelles comme pour les attentats terroristes de septembre 2001) sans s'assurer de coalitions ou de la neutralité des adversaires potentiels.

La plus puissante économie.

Dès la fin du xixe siècle, les Etats-Unis sont devenus la principale puissance industrielle : en 1913, ils représentent plus d'un tiers de la production industrielle mondiale. Pour eux, c'est le temps du taylorisme, de la productivité et des salaires élevés, de l'essor des universités et des dépôts de brevet. C'est le premier âge d'or du capitalisme industriel. A partir de 1929, les Etats-Unis s'enfoncent dans une crise de surproduction qui aura des conséquences effroyables : de 1929 à 1933, la production industrielle est divisée par deux et le chômage touche jusqu'à un quart de la population. La Seconde Guerre mondiale aura des conséquences considérables sur la place relative des économies nationales. L'Europe et le Japon sortent détruits, alors que les Etats-Unis ont accru leur capacité productive. Au lendemain de la guerre, la supériorité de l'Amérique en matière économique est écrasante : son marché intérieur était huit fois plus grand que le plus grand des autres marchés, ses ouvriers les plus qualifiés, ses technologies de loin les plus avancées ; l'investissement et le management y étaient les plus efficients 1. Les années 1940-1960 seront donc principalement celles de la puissance industrielle et de l'American dream, les années 1970-1980, à l'inverse, celles du déclin relatif et de la transformation économique. De nouveaux pays industriels (Japon, Allemagne) émergent et concurrencent une Amérique dont l'économie se centre de plus en plus sur les services. Les Etats-Unis voient se creuser leur déficit commercial. Ils choisissent des politiques unilatérales protectionnistes et la dévaluation du dollar. De 1971 à 1976, une crise de régulation financière met à bas les accords monétaires de 1945 (Bretton Woods). Le réveil est brutal. Dans les années 80, les Etats-Unis subissent une crise majeure de leur appareil industriel. Tous les avantages qui avaient fait leur avance sont alors perdus 2. Dans les années 80, on s'alarme aux Etats-Unis de la puissance économique japonaise montante qui a, par exemple, conquis un tiers du marché automobile intérieur, symbole de leur vitalité et de leur puissance. C'est pourtant au moment le plus fort de la désindustrialisation et des « humiliations industrielles » (prise de contrôle par l'industrie japonaise de fleurons historiques de l'économie américaine) que le sursaut et la transformation se dessinent. La deuxième grande mutation du capitalisme s'engage. Elle se fondera d'une part sur le renforcement des rapports entre l'Etat, la société et les entreprises, et d'autre part sur la transformation du management et du fonctionnement des entreprises. Alors que l'intervention de l'Etat s'était appesantie depuis les années 30, le gouvernement central, sous les administrations Carter et surtout Reagan, fait le choix inverse. Il impulse pour les échanges internationaux une dérégulation compétitive (appelée bien vite globalisation) destinée à forcer les marchés protégés comme le Japon. Dans le même temps, aux Etats-Unis, « les entreprises, les grandes mais aussi les petites, ont trouvé un allié indéfectible dans l'Etat fédéral, qui n'hésite pas à mettre toute sa puissance diplomatique au service de leurs intérêts, tandis que les Etats fédérés, les comtés, les villes se mobilisent également au service de la reconquête de la supériorité industrielle» 3 . En une décennie, l'innovation redevient le moteur de l'économie. Au cours des années 90, la croissance sera ininterrompue. Elle se fondera notamment sur le dynamisme des nouvelles technologies et de la « new economy ». La crise boursière et celle du secteur des nouvelles technologies qui sévissent depuis trois ans, amplifiées par les incertitudes géopolitiques consécutives aux attentats du 11 septembre, ne sont pas pour autant une récession générale : la croissance américaine, pour plus faible qu'elle soit, demeure plus forte que celle de ses partenaires européens et japonais.

Une culture dominante.

La diffusion à l'échelle mondiale des produits culturels américains (cinéma, médias de masse, Internet) suscite des craintes très vives. En réalité, les plus puissants facteurs d'unification culturelle du xxe siècle n'ont pas été la propagation de la culture américaine, mais plutôt l'urbanisation ou le salariat et la consommation. Dans ce contexte, les Etats-Unis jouent cependant un rôle capital. En premier lieu parce qu'ils sont à l'origine de la majorité des flux de communication, et qu'ils disposent d'une culture et d'une idéologie de la globalisation. Mais aussi parce que leur population multi-ethnique refléterait la diversité du monde, et qu'ils seraient la première véritable société globale.