La France vient de vivre plusieurs confinements qui ont bouleversé nos habitudes : assignation au domicile, limitation des déplacements à ceux essentiels (travail, garde d’enfants, courses alimentaires et de première nécessité), encadrement strict des loisirs (port du masque, fermeture des lieux culturels, promenades dans un rayon défini de quelques kilomètres et limitées à une certaine durée). Comment les Français se sont-ils adaptés à ces contraintes inédites ? Ces confinements successifs changent-ils la vie sociale ?
Plusieurs études ont été réalisées à ce sujet. Elles montrent quelques innovations mais aussi le maintien de tendances « de fond », que l’on observe depuis des années, notamment les inégalités sociales, territoriales et de genre. Par exemple, Pierre Mercklé, qui a piloté l’enquête « Vico » (Vie en confinement) auprès de 16 000 personnes dans toute la France, explique ainsi que « dans l’ensemble, les lois qui régissent le monde social ordinaire, loin de se défaire, ont plutôt résisté, pour le meilleur ou pour le pire, à l’enfermement prolongé. Pour le dire trop vite, les inégalités sociales ont pesé d’autant plus fortement, les différences de genre ont eu tendance à s’accentuer encore, les représentations politiques et morales à guider les choix face aux interdictions et obligations (encadré ci-dessous). C’est à la marge seulement que se sont parfois glissées des confirmations ou des envies nouvelles : un désir de temps pour soi, un besoin d’air frais aussi. »
Même constat avec l’enquête « CoCo » (« Coping with covid-19 »), qui a mesuré sur le vif l’expérience sociale du confinement auprès de 783 Français. Les chercheurs concluent que « pendant le confinement, les inégalités sociales ont suivi leurs cours en affectant considérablement l’expérience individuelle de cette situation inédite. Certaines se sont même retrouvées exacerbées par les contraintes spatiales et sociales et par l’exposition aux risques sanitaires et économiques. De nouveaux clivages sociaux ont été mis en exergue ; les mois qui viennent montreront s’ils sont conjoncturels ou durables. » Les inégalités se sont manifestées à plusieurs niveaux.
Quel ressenti ?
En temps normal, rappelle le sociologue Olivier Zerbib, 90 % des Français se déclarent heureux. Pendant le confinement, seulement un tiers des participants à l’enquête « Vico » l’était. Les sentiments négatifs l’emportent largement sur les sentiments positifs, résument les sociologues Anne-Claire Defossez, Michel Grossetti et P. Mercklé. Ainsi, 62 % des Français enquêtés se déclarent inquiets et autant fatigués, la moitié se dit stressée et irritée, 45 % éprouvent de la tristesse. Seulement 39 % se disent détendus, 36 % en forme et 34 % heureux.
Les sentiments négatifs sont d’autant plus importants dans les régions très touchées par la covid-19 comme le Grand Est et l’Île-de-France ; pour ceux qui ne possèdent pas d’espace extérieur à proximité de leur domicile ; parmi les revenus modestes (moins de 1 600 euros par ménage et par mois, ce qui témoigne d’une précarité économique source d’anxiété) ; pour ceux qui disent avoir peu de temps libre, peu de diplômes ; ou encore pour les personnes vivant seules.