Même si, en 1952, George Brassens dénonçait encore sa propre réputation, on croyait la notion moribonde, réduite au silence par la disparition des veillées paysannes et des salons bavards que décrivait Marcel Proust au début de ce siècle. Les conditions de la vie urbaine, l’isolement et l’anonymat décrits en 1938 par le sociologue Louis Wirth 1 semblaient avoir mis un terme à la vie des réputations personnelles fabriquées par le bouche à oreille. Force est de constater qu’il n’en est rien. D’abord parce que, comme le relève le psychologue Nicholas Emler 2, des « communautés d’individus qui se connaissent survivent au cœur même des grandes villes industrielles ». La réputation est une source d’information sans doute peu fiable, mais très courante pour pallier le manque d’expérience. Tout le monde consulte ses amis pour trouver le « bon » médecin ou le « bon » dentiste. Et plus encore, l’explosion de la consommation de masse a mis à notre disposition une profusion de produits et de marques, sur lesquels il nous faut bien nous faire un avis. Pourquoi ne pas en parler à ses collègues ? Enfin, derniers en date, les réseaux numériques, nous ouvrent la porte d’un univers où toute proposition peut être vue, commentée et évaluée par des milliers d’inconnus. L’internaute, en s’exposant, est ainsi à même de se faire des relations, des admirateurs ou des détracteurs qui porteront éventuellement très loin son nom. Internet est le plus ouvert, le plus vaste et le plus versatile des « dispositifs réputationnels » jamais inventés. Les acteurs du Web n’ont pas attendu : ils ont mis au point des instruments de mesure quantitative et qualitative de l’impact de n’importe quelle page. Créer et surveiller les réputations numériques est aujourd’hui une industrie qui remet sur le devant de la scène une notion qui semblait un peu blette. De la simple rumeur à la notation des États, en passant par le classement des blogs, la e-reputation désigne, pour les sociologues du Web, tous les jugements partagés sur un tiers, qu’ils soient formalisés ou non, fondés sur l’expérience ou non.
Article issu du dossier
Les lois de la réputation. De la reconnaissance à la notoriété
10 articles