La photo et surtout le cinéma pornographiques sont devenus des produits de consommation courante. Cette industrie engendre des revenus évalués, en 2006, à près de 100 milliards de dollars américains par an (1). C’est aussi un sujet de controverses morales, religieuses, philosophiques, politiques et scientifiques. Malgré cela, le phénomène est encore peu étudié aujourd’hui, comme s’il s’agissait d’une question privée, sans impact social notable.
Pourtant, en se massifiant, la pornographie a élargi son public : on la consomme de plus en plus jeune et les femmes sont également concernées. Une enquête française de Michela Marzano et Claude Rozier révélait en 2005 que 58 % des garçons et 45 % des filles ont vu leurs premières images pornographiques avant 13 ans (2). Au Canada, nous avons trouvé que l’âge moyen de la première consommation est de 13 ans pour les filles et 12 ans pour les garçons (3).
On est donc en droit de se demander si cette exposition précoce a une influence sur les comportements sexuels des jeunes d’aujourd’hui. À travers la pornographie, ils découvrent les corps, apprennent des techniques et des positions, tout en étant imprégnés d’une vision particulière de la sexualité, focalisée sur le plaisir masculin – l’éjaculation étant le but du « spectacle ». L’intrusion des codes pornographiques dans l’imaginaire se traduit-elle par une économie différente des pratiques amoureuses et sexuelles ? Les aspirations intimes des jeunes sont-elles changées, le rapport au sexe modifié, la relation à l’autre transformée ?
Il est évidemment difficile de répondre à ces questions avec certitude et précision. Néanmoins, certaines études font apparaître que cette influence existe, et que ses effets peuvent être pointés du doigt.
La pornographie dans la culture
Depuis les années 1990, le recyclage d’archétypes pornographiques dans la publicité, la littérature, la télévision, le cinéma, la presse, la mode est un fait avéré. Si l’on se fie aux magazines féminins, pour être bien dans leur peau et dans leur vie, les femmes devraient adopter de nouvelles pratiques sexuelles et consommer les produits de l’industrie du sexe. Ces magazines véhiculent un message sur la sexualité qui est loin d’être subtil. En substance, il dit ceci : presque tout le monde a une vie sexuelle fascinante et variée, sauf vous (4) ! Apprenez à aimer les actes sexuels vus à l’écran, amusez-vous avec les gadgets, vous connaîtrez l’épanouissement sexuel et, par conséquent, l’épanouissement personnel ! « La place accordée aux rubriques ayant explicitement l’activité sexuelle pour sujet dans la presse féminine (…) et l’exposé fréquent des normes destinées à réguler cette activité tendent ainsi à poser un impératif érotique (5). » Celles qui n’approuvent pas finissent par se sentir coupables de ne pas fonctionner selon les normes communes. La sexualité est aussi omniprésente dans la plupart des magazines pour les adolescentes et « elle est souvent suggérée aux ados comme moyen d’obtenir autre chose (6) ».