Alors que la grammaire traditionnelle nous propose souvent des exemples du type « le chien du voisin s'est sauvé », on entendra dans la conversation courante « au fait, le voisin... son chien, eh ben i s'est sauvé », et parfois quelques bizarreries, comme « Donne-moi-Z-en »... Manifestement, la parole a son fonctionnement propre, mais n'est devenue un objet d'étude que récemment. Pourtant, s'il est un point commun à toutes les langues, c'est bien d'être parlées. Certes, la rhétorique antique a fourni une abondante réflexion sur certains usages de la parole, dans une société où l'art de l'orateur était au coeur de la vie de la cité. Mais, dans les cultures à forte tradition littéraire, la parole a longtemps été occultée par l'écrit. Or, une langue est d'abord parlée et, si certaines d'entre elles possèdent une écriture, nombreuses sont celles qui n'en ont pas.
Au début du xxe siècle, Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique moderne, a opéré une distinction fondamentale entre la langue, ensemble de règles abstraites, et la parole, action singulière d'un locuteur. Or la linguistique saussurienne va privilégier une approche dite immanente, car elle se préoccupe exclusivement du fonctionnement interne de la langue, indépendamment des pratiques réelles. Seul l'aspect verbal et non vocal est alors retenu, et la situation de communication est elle aussi évacuée. Du coup, des phénomènes comme la prosodie, l'intonation, se sont trouvés exclus de la linguistique saussurienne. Comment comprendre dès lors qu'un énoncé comme « j'adore ce film », dit sur un ton ironique, signifie précisément le contraire ? Ce n'est que peu à peu que la linguistique s'est ouverte à l'étude de la parole, en intégrant notamment les apports issus d'autres disciplines comme la sociologie ou la psychologie.