Les nouveaux codes du management

L’entreprise d’aujourd’hui ne recherche pas de simples exécutants. Au contraire, le management requiert un personnel à la fois qualifié, impliqué et autonome, tout en recourant à de nouvelles formes de contrôle très intrusives.

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Entre deux vagues de licenciements « techniques » générés par les exigences de rendement des actionnaires et les cycles économiques, les entreprises des secteurs de pointe n’ont de cesse de souligner que la qualité de leurs ressources humaines constitue leur plus grande richesse. Que ce soit dans les secteurs des technologies de l’information et des communications, de l’aéronautique, de la santé ou de la finance, partout on observe la même tendance : la DRH (direction des ressources humaines) a gravi tous les échelons. De service fonctionnel voué à l’embauche et à la rémunération, elle est devenue l’un des pivots de la planification stratégique. Sa mission : mobiliser les ressources humaines ; son objectif prioritaire : accroître l’implication subjective des salariés.

La célérité d’un tel changement de rôle de la DRH nous informe de l’ampleur des transformations de nos modèles productifs, soit nos manières de produire des biens et de dispenser des services, mais aussi de mobiliser les salariés. De fait, chaque modèle productif impose des exigences singulières d’engagement au travail, et conséquemment des politiques ciblées de motivation. La chaîne de montage automobile de Detroit, symbole du fordisme, nécessitait des travailleurs spécialisés (OS) respectueux des consignes et motivés par une orientation instrumentale au travail. La gestion en flux tendus (lean production), aujourd’hui répandue dans tous les secteurs, requiert plus de flexibilité et de polyvalence, mais aussi une attention de tous les instants, attendu le rythme accru des opérations. La gestion de l’immatériel et du cognitif dans les secteurs de l’économie du savoir incite les managers à prescrire des formes de mobilisation personnalisées, qui font appel à l’autonomie responsable, à l’esprit d’innovation et à l’engagement de soi.

C’est dire qu’à l’analyse psychologique, qui s’emploie à jauger les facteurs de motivation qui déterminent les conduites au travail au regard des traits de personnalité, s’en ajoute une autre, plus sociologique, qui consiste à repérer les différents régimes de mobilisation au travail qui découlent du cadre organisationnel propre à un modèle productif donné. Ces régimes se donnent à voir dans les modèles de gestion et les types idéaux de travailleurs préconisés par les managers. Par-delà leurs dispositifs, ces régimes révèlent, de manière plus fondamentale, comment le management définit et redéfinit la nature et la place du sujet au travail. L’analyse des secteurs moteurs de l’économie propres à chacune des trois récentes périodes de transformation économique permet d’en tracer les grandes lignes 1.

1 - L’effritement du modèle fordiste et la quête de flexibilité

D’abord, la période des années 1970-1980 a été marquée par l’effritement du modèle fordiste et l’essor de la quête de flexibilité tous azimuts. Cette période est celle d’une remise en question de la figure du travailleur comme « agent » : celui-ci était censé être mobilisé par des facteurs de motivation extrinsèques à la tâche : le salaire et les conditions de travail. La période des années 1990 est fondée sur la généralisation des pratiques de flexibilité et des nouveaux « schèmes » de compétence ; durant cette période, la figure de l’agent fut largement remplacée par celle de « l’acteur assigné » : on attendait de lui qu’il ne soit pas un simple exécutant mais interprète son rôle de manière souple, ce qui suppose une responsabilisation et une implication subjective dans son travail. Enfin, plus récemment, et particulièrement dans les secteurs de l’économie du savoir, un nouveau profil de salarié, celui du « sujet autorégulé », s’impose : il appelle une intense mobilisation de la « personne » dans son travail. Voyons les choses d’un peu plus près, sans perdre de vue qu’il s’agit de modèles typiques : dans la réalité, ces trois formes coexistent à chaque période, et encore aujourd’hui.