
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot juillet 2021
Ils incarnent aujourd’hui l’un des duos les plus célèbres de la sociologie française, l’un des plus controversés aussi : Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon se sont rencontrés à la faculté des lettres et sciences humaines de Lille en 1965. La première avait 19 ans et le second, 23.
De cette rencontre sont nées de nombreuses études et analyses de la haute bourgeoisie, qui ont donné lieu à plus d’une vingtaine d’ouvrages. Ce parcours n’avait pourtant rien d’évident au départ. Tous deux « boiteux mais pas de la même jambe », se plaît à rappeler M. Pinçon-Charlot, ils ont su dépasser leurs limites respectives. Pour témoigner de ce parcours original, ils ont publié récemment un recueil de mémoire, Notre vie chez les riches. Mémoires d’un couple de sociologues (La Découverte, 2021) et tourné le film À demain mon amour, réalisé par Basile Carré-Agostini, en salle en mars 2022.
« Cette carrière n’aurait pas été possible l’un sans l’autre », affirme M. Pinçon-Charlot. Elle comme son mari ont vécu deux « névroses de classe inversées » : Monique naît dans un milieu social plutôt aisé, mais peu érudit, tandis que Michel grandit dans un milieu social modeste, ce qu’il compense en développant une riche culture personnelle. Monique est méticuleuse, consciencieuse dans ses observations, organisée, mais elle n’a pas l’aisance écrite de Michel. Michel, de son côté, un peu perdu dans ses pensées, « dilettante », voire « lunaire » a besoin de Monique qui est toujours « le calepin à la main ». Elle a aussi « le contact facile », ce qui facilite leur insertion dans les milieux qu’ils étudient.
Un mémoire écrit à quatre mains
Dès les premières années de vie commune, Monique prend conscience de cette complémentarité et de l’intérêt que représente le fait de travailler ensemble. Mariés pour pouvoir partir ensemble au Maroc lors du service militaire de Michel, en 1967, ils commencent tous deux à étudier la société néocoloniale marocaine et rédigent un mémoire commun à ce sujet – une réflexion nourrie des analyses de Pierre Bourdieu dont Michel suit les cours à Lille de 1963 à 1965 et que Monique découvre alors qu’elle est enceinte de leur fils Clément. Mais le monde de la recherche reste peu ouvert au travail collectif : en 1969, à leur retour en France, leur mémoire écrit à quatre mains, dirigé par Jean-Claude Passeron, est refusé par l’administration de l’université Paris-Vincennes. Peu importe, Monique et Michel partagent leurs écrits en deux mémoires distincts qu’ils soutiennent le même jour.