Les poilus, le courage et la contrainte

Une « histoire par le bas », s’appuyant sur les témoignages des poilus, 
s’est substituée à une lecture diplomatico-militaire de la guerre. 
Les motivations et le vécu des combattants apparaissent désormais 
comme l’une des clés d’interprétation du conflit.

Dans les années qui suivirent la fin du conflit mondial, l’histoire de la Grande Guerre fut écrite par des responsables (le maréchal Pétain) et des universitaires, en général acteurs directs des faits, comme Pierre Renouvin et Jules Isaac. Leur objectif principal consistait dans l’analyse des faits diplomatiques et militaires ayant présidé à cet événement sans précédent, selon une tradition qui, depuis, n’a jamais cessé de produire de nouvelles analyses 1. Les témoignages de combattants publiés, comme ceux Jean-Norton Cru 2 ou Jacques Péricard 3, ne semblaient pas avoir de valeur déterminante pour l’historien.

Culture de guerre

Par un mouvement des idées qui, selon André Loez et Nicolas Offenstadt 4, reflète la désaffection des chercheurs pour les grands récits progressistes du XXe siècle, les années 1980, et plus encore, 1990, ont vu de jeunes spécialistes de la guerre de 1914-1918 changer d’objet. De récit militaire conditionné par de grands intérêts économiques ou géopolitiques, leurs regards se sont portés sur la restitution du vécu des acteurs parfois les plus modestes de l’événement : les soldats du front, les prisonniers, les populations touchées par les conflits, et même les civils éloignés du champ de bataille.

Cette « Histoire vue d’en bas » (titre d’un colloque tenu en 1992) n’a pas manqué de soulever des problèmes d’interprétation relativement nouveaux. Comment ces millions d’hommes, pour la plupart arrachés à une vie civile paisible, écrasés par la violence inouïe des armes modernes, subissant des pertes terribles, renvoyés d’un front à un autre, mal nourris et transformés en « rats de tranchées », ont-ils pu supporter leur condition pendant ces quatre longues années ?