Les tempêtes de l'adolescence

Éric, 14 ans, termine sa quatrième dans un collège tranquille de province. Ici, pas de drogue ni de racket. Pourtant, depuis quelque temps, ses parents s’inquiètent. Eux qui l’avaient toujours connu enjoué, parfois même un peu trop, le voient qui erre sans but, zappe devant la télé, s’abîme dans la contemplation du réfrigérateur à moitié vide, s’enferme des heures dans sa chambre et s’irrite pour un rien dès qu’on lui adresse la parole. Pire, il sèche ses cours et passe son temps à traîner dehors. Ses résultats scolaires sont en chute libre. Malgré des tentatives répétées de conciliation, Éric semble échapper à tout contrôle… Ses parents, désemparés, décident de consulter un pédopsychiatre.
Aujourd’hui, les demandes de consultations pour difficultés scolaires se multiplient dans les services de psychiatrie pour adolescents (1). L’entrée dans l’adolescence coïncide avec les années-collège. On ne s’étonnera donc pas que ce soit ce niveau de la scolarité qui écope de plein fouet des turbulences inhérentes à cette période. Comment alors interpréter et faire face à ces manifestations parfois troublantes, qui inquiètent bien des parents et perturbent les enseignants ? Et, au final, faut-il leur accorder l’importance dramatique que soulignent à l’envi une certaine littérature et de nombreux médias, alors que, de leur côté, les enquêtes montrent que 90 % des adolescents se sentent bien dans leur peau (2) ?
Grand saut dans l’inconnu, l’entrée au collège engendre un véritable big-bang identitaire : durant quatre ans, l’enfant subit toutes sortes de métamorphoses, tant dans son corps que dans sa tête. Ces bouleversements sont source d’énormes tensions exacerbées par le nouveau statut social qu’il acquiert lors de son entrée au collège. Premiers bouleversements : la croissance et la puberté. Le jeune adolescent est soumis alors à des transformations corporelles incessantes : sa croissance s’accélère de façon spectaculaire (passant de 4 à 6 centimètres par an à 9 en moyenne chez les filles, à 10 chez les garçons). Sans compter tout un cortège de petits et gros ennuis : un jour, des boutons qui percent, le lendemain des poils qui poussent… Le corps devient source de préoccupations et d’angoisses. Jusqu’à la fin des transformations pubertaires, garçons et filles se plaignent de leur nez trop gros, d’un surplus de poids, d’une poitrine trop forte ou trop petite. Ces transformations corporelles constituent un facteur de déstabilisation permanent pour l’adolescent. D’où les stations prolongées dans la salle de bains…
Pour conjurer cette impression d’étrangeté à soi-même, l’adolescent essaye des styles, des looks différents. Le vêtement devient un élément constitutif de son identité. « Gothique », « rappeur », ou « lolita », les ados se cherchent des identités provisoires qui constituent autant de carapaces pour camoufler les changements corporels qui les affectent.
Autre élément identitaire de l’ado : la chambre, sorte de tanière ou de domaine où il peut se ressourcer. Elle constitue en fait une extension du corps. Des « défense d’entrer » assortis de têtes de mort sont placardés sur la porte, la radio est branchée en permanence, et malheur au parent intrus qui osera la couper (pour que son fils travaille !) ou déplacer un objet ! Il risque de se voir adresser des hurlements et accuser de porter atteinte à l’intégrité d’un domaine que le jeune considère comme son corps.
L’apparition des premiers signes de sexualisation modifie fortement les relations avec les parents. La pudeur naissante entraîne une certaine prise de distance, en public comme en privé. Le regard que les adolescents jettent sur leurs parents se transforme. Il arrive souvent d’entendre en consultation des jeunes filles qui se plaignent que leur père fasse du bruit en mangeant, ou encore de jeunes garçons qui ne supportent plus du tout d’avoir un contact physique avec leurs parents. Désormais, l’adolescent veut décider lui-même et gérer la relation : « Quand j’ai envie de t’embrasser, je viens, sinon tu ne me touches pas ! »