Les voies du langage

Pour parler, pour comprendre ce que l’on nous dit, 
le cerveau met en œuvre de multiples circuits liés 
aussi bien au langage qu’à la motricité.

En 1861, Paul Broca procède à l’étude post mortem du cerveau d’un patient, qui avait perdu la capacité d’articuler les mots. P. Broca constate la lésion d’une partie du lobe frontal gauche. Il identifie ainsi « l’aire des images motrices de la parole », qui assurent la programmation et l’exécution de celle-ci (1). Quelques années plus tard, en 1874, Carl Wernicke localise dans une partie du lobe temporal gauche l’aire des « images auditives » de la parole, où sont décodés les mots que l’on entend (2). Ces deux aires seront baptisées aire de Broca et aire de Wernicke en hommage à leurs découvreurs. C. Wernicke émet, à juste titre, l’hypothèse qu’une lésion interrompant les connexions de ces deux aires laisserait intactes l’articulation ou la compréhension de la parole, mais provoquerait des troubles de la répétition. En associant l’observation clinique détaillée des troubles du langage et l’analyse des lésions cérébrales qui les occasionnent, la méthode dite anatomoclinique permet ainsi, dès la fin du XIXe siècle, de proposer les premiers modèles cérébraux du langage, comme celui de Ludwig Lichtheim (3).

 

Les deux chemins de l’écoute

L’avènement des méthodes d’imagerie fonctionnelle, et particulièrement de l’imagerie de résonance magnétique dans les années 1990, est à l’origine d’un foisonnement d’études qui, sans invalider les connaissances acquises par cette méthode anatomoclinique, démontre chaque jour davantage la complexité des mécanismes cérébraux qui sous-tendent aussi bien la compréhension que la production du langage. Avant d’exposer l’état actuel des connaissances dans ce domaine, il est important de rappeler la contribution fondamentale de la neuropsychologie cognitive, qui vise à disséquer le fonctionnement cognitif : l’analyse cognitive des déficits permet de décrire les diverses procédures et voies de traitement de l’information mises en œuvre dans les activités verbales. Mais elle inspire également les protocoles expérimentaux des études de neuroimagerie.

La localisation des aires du langage dans l’hémisphère gauche, attestée dès les premières études de P. Broca et C. Wernicke, n’a pas été fondamentalement remise en cause par les études en neuroimagerie. Ces dernières ont toutefois montré la contribution de l’hémisphère droit à certaines étapes du traitement de l’information verbale. L’écoute passive de la parole active les régions temporales supérieures dans les deux hémisphères. L’activation de ces régions prédomine à gauche dès lors qu’il est demandé aux participants de discriminer ou identifier des unités de parole (phonèmes ou syllabes). Or dans ces situations d’écoute, les activations temporales gauches sont associées à une activation de l’aire de Broca, normalement impliquée, nous l’avons vu, dans la production de la parole. Ces données apparemment paradoxales s’expliquent par l’existence de deux voies de traitement du langage oral, selon le modèle défendu par Greg Hickok et David Poeppel (4).