À 20 ans, Jérémy jouait les gros bras pour des dealers de son quartier. Sept ans plus tard, assis sur le banc en bois de la salle commune de la ferme de Moyembrie, le jeune homme espère avoir définitivement fait une croix sur cet épisode de son passé. « Je sais que j’ai blessé des gens, et je n’en suis pas fier. J’ai purgé une peine de quatre ans pour ça », explique-t-il. D’ici quelques semaines, il sera libre. Il a passé les six derniers mois de sa condamnation dans cette ferme de réinsertion de l’Aisne, qui accueille une vingtaine de résidents à l’année. Ce matin, l’agence immobilière lui a remis les clés de son nouvel appartement, pour lequel la ferme s’est portée garante. Le bien se trouve à Vervins, à seulement une heure de route. « Après avoir emménagé, je prendrai n’importe quel travail. Dans ma situation financière et personnelle, je ne peux pas faire la fine bouche ! ».
Le résident se ressert machinalement une portion de salade de pomme de terre. Ce travail, il va en avoir besoin non seulement pour payer son loyer, mais aussi pour rembourser sa dette, dont il ne connaît toujours pas le montant exact. « Je sais juste que je dois 80 000 euros de dommages et intérêts aux victimes. J’ai commencé à rembourser cet argent dès le début de ma peine. Le fonds de garantie nous prélève automatiquement chaque mois, mais je n’ai pas connaissance des chiffres et ni du montant qu’il me reste à payer. J’ai demandé à mon avocat s’il pouvait me fournir ces informations. Je trouve que c’est normal que je sois informé de ces choses-là. »
Deux tiers des détenus endettés
Jérémy n’est pas le seul à avoir des dettes. « Quasiment tous nos résidents ont des parties civiles à payer, c’est-à-dire des dommages et intérêts à verser aux victimes. À ces parties civiles peuvent s’ajouter des dettes accumulées pendant la détention, comme les loyers impayés, les factures de téléphone et d’électricité, l’abonnement à la salle de gym, etc. Ces contrats n’ont pas été résiliés pendant la détention », explique Lara Vedovelli, encadrante référente justice à la ferme de Moyembrie. Un rapport publié par Emmaüs-France en 2021 estime que deux tiers des détenus en France sont endettés. Accoudé sur une des tables du jardin de la ferme, Jean, 52 ans, a été condamné à onze ans de prison. Il doit rembourser 55 000 euros de parties civiles, mais aussi les factures non honorées. « Les dettes, c’est quelque chose qui vous étrangle. J’y pense la nuit, parfois. En prison, vous n’avez plus de droits. Impossible de faire résilier un contrat depuis votre cellule. Mais les organismes de crédits, eux, ils continuent de vous ponctionner. Quand vous sortez de détention et qu’on vous annonce que votre crédit a été multiplié par dix, cela vous fait un choc ! », témoigne ce Français originaire d’outre-mer.