Ludwig Wittgenstein - Désensorceler le langage

Transfuge de la rigueur logique, Ludwig Wittgenstein ouvre la voie à une autre approche du langage : celle de son usage ordinaire, dans la variété de ses contextes et de ses pratiques.

En 1921, Ludwig Josef Wittgenstein (1889-1951) publie le Tractatus logico-philosophicus. Le jeune Autrichien est protégé par le logicien Bertrand Russell à Cambridge, qui le tient pour un génie. Pour Wittgenstein, le langage est une image de la réalité : de ce fait, une proposition n’a de sens que si elle peut renvoyer à des faits. D’un geste définitif, il exclut de la sphère du sens les énoncés de la métaphysique, de l’esthétique ou de l’éthique pour affirmer dans la dernière proposition du Tractatus que « sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire ». Dont acte : le jeune homme, bien qu’issu de la grande bourgeoisie viennoise, tourne le dos à son milieu d’origine, donne congé à la philosophie et se fait tour à tour jardinier, instituteur en Basse-Autriche, puis architecte à Vienne. Il pense avoir tout dit dans son premier livre.

Ne pas expliquer, mais décrire

Dix ans plus tard, il est pourtant de retour à Cambridge. Il va alors changer de position, au grand désarroi de B. Russell qui le voit quitter les sentiers de la logique. C’en est fini de l’approche formelle du langage et des thèses grandioses. Son style n’en est pas moins aussi désarmant que du temps du Tractatus : pas de théorie générale du langage, de la société ou de l’esprit humain, mais des aphorismes et des réflexions, principalement « grammaticales », sur l’usage ordinaire de tel ou tel mot ou expression (« savoir », « douter », « avoir mal aux dents »…). Une posture descriptive revendiquée comme telle par le philosophe : « La philosophie, écrit-il, ne doit en aucune manière porter atteinte à l’usage effectif du langage, elle ne peut donc, en fin de compte, que le décrire. Car elle ne peut pas non plus le fonder. Elle laisse toutes choses en l’état (Recherches philosophiques, § 124). »