Mai 1968, trajectoires de militants

Des soixante-huitards ordinaires, Érik Neveu, Gallimard, 2022, 448 p., 23 €.

Que sont devenus les soixante- huitards ordinaires ? Le sociologue Erik Neveu a étudié ce qu’a représenté leur engagement, et comment il a influé sur leur parcours de vie.

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De Mai 68, quelle image retient-on généralement ? Celle d’un mouvement éphémère, moins dangereux politiquement que révélateur de la montée d’un nouvel acteur sur la scène publique : la jeunesse. Parmi les images complaisamment entretenues, la principale est celle concernant le devenir des militants après les événements. Individualistes, opportunistes, carriéristes, ils auraient su évoluer au fil des années pour trouver de bonnes places et, répudiant les idéaux de leurs 20 ans, se faire les chantres d’un néolibéralisme décomplexé. Cette image de renégats repose à la fois sur le parcours de quelques apostats fort médiatiques et sur la lecture du succès de certains mots d’ordre de l’époque. L’analyse de Luc Boltanski et Ève Chiapello dans Le Nouvel Esprit du capitalisme relevait ainsi que la critique du capitalisme au nom de la liberté, de l’imagination et de la créativité s’était parfaitement coulée dans une nouvelle conception du management d’entreprise. Ce changement de paradigme signifiait en quelque sorte une victoire dans la défaite, la contestation ayant été désamorcée par un capitalisme qui n’hésita pas à récupérer les critiques qu’on lui opposait.

Cependant, Mai 68 ne se réduit ni à l’agitation parisienne d’étudiants petits-bourgeois en mal de sensations, ni au feu de paille d’une révolution fantasmée par quelques théoriciens rêveurs. Plutôt que d’une parenthèse fiévreuse, c’est, selon Érik Neveu, d’une fertilisation qu’il s’agit, et plutôt qu’un reniement, une adaptation. Encore faut-il entendre par ce mot non une abdication face à la réalité mais une façon différente de la faire évoluer. C’est ce qui ressort de l’ensemble des entretiens menés par l’auteur avec une soixantaine d’anciens militants bretons. Échantillon représentatif d’un mouvement plus général, il suit le parcours de militants de base en province, fort différent de la trajectoire des têtes d’affiche germanopratines. Cette enquête empirique permet à la fois de comprendre par quels cheminements on en vient à se donner corps et âme à une cause et de saisir ce que cet engagement devient une fois passé l’efflorescence du printemps 1968. Avec cette question persistane : que faire pour changer les choses concrètement ?