Mai 68, une occasion manquée ?

Les manifestations et les grèves de 1968 n’ont pas permis d’obtenir de nouveaux droits pour les femmes, mais les féministes s’y sont forgé une solide expérience militante, utile quelques années plus tard.

Les événements de 1968 ont-ils fait progresser le féminisme ? La réponse est loin d’être univoque. Car l’aspiration à l’égalité hommes-femmes, portée par des voix pionnières, a eu du mal à se faire entendre dans le concert des revendications.

Les femmes sont partout en 1968. De plus en plus nombreuses à suivre des études dans l’enseignement supérieur, elles représentent 45,5 % des effectifs totaux et 67 % de ceux des facultés de lettres. Elles sont au cœur du mouvement de contestation étudiant. Sur le campus de Nanterre, elles occupent avec leurs camarades la tour administrative le 22 mars et affrontent les forces de l’ordre dans le Quartier latin à partir du 3 mai. Elles sont présentes dans les universités et les lycées occupés partout en France. Ce ne sont pourtant pas ces images qui ont été retenues par la postérité. Ce n’est que récemment qu’ont été redécouvertes les images de femmes en action jetant des pavés et bravant la police. Et pour cause : ce sont leurs collègues masculins qui tiennent les mégaphones et marchent en tête des manifestations. Les femmes se cantonnent à des rôles d’exécutantes et à des tâches qui leur sont traditionnellement dévolues : le soin aux blessés, le ménage dans les locaux occupés, la préparation des repas, la rédaction des tracts à la machine à écrire.

Les travailleuses sont aussi nombreuses à se mettre en grève. Vendeuses dans les grands magasins, enseignantes et ouvrières grossissent les rangs de la révolte sur les conditions de travail. Les femmes, traditionnellement moins syndiquées, surprennent par leur participation en nombre, notamment dans les secteurs les plus féminisés. Mais dans les usines occupées, même quand les femmes sont majoritaires, ce sont des hommes qui sont envoyés par les syndicats pour diriger l’action. Aucune femme ne s’assoit à la table des négociations de Grenelle et c’est donc entre hommes que se décide l’avenir des travailleurs.

La vie des femmes transformée

Les femmes sont donc les invisibles d’événements qui pourtant bouleversent la vie de nombreuses d’entre elles. Les occupations et les grèves constituent autant de moments suspendus où les possibles s’ouvrent. Mai et juin prolongent et amplifient les multiples manières de contester le contrôle exercé au sein de la famille, à l’école ou en entreprise. Les jeunes femmes, plus surveillées habituellement que leurs congénères masculins, expérimentent une liberté à laquelle elles ont parfois du mal à renoncer ensuite. Porter des collants, des minijupes, des pantalons, écouter de la musique rock, se maquiller, sortir dans la rue sont autant d’actes de défiance auxquels s’ajoutent, avec les événements de mai et juin, d’autres formes de rébellions contre les parents, les professeurs ou les patrons. Ces bouleversements sont loin de ne toucher que les jeunes, certaines femmes plus âgées, déjà mariées et mères de famille, voient aussi leurs vies transformées à la suite de leur participation aux événements de 1968. Leur engagement les conduit parfois à rompre avec leurs attaches, à divorcer ou au changer de métier.