« La répartition géographique des travaux théoriques sur le marxisme s'est profondément modifiée au cours de la dernière décennie. A présent, les principaux centres de production intellectuelle semblent se trouver dans le monde anglophone plutôt que dans l'Europe germanique ou romane. »
Ce constat, le philosophe Perry Anderson le faisait il y a près de 20 ans, et une chose est sûre, il n'a pas perdu de son actualité. La tendance du marxisme à se refaire une jeunesse dans des pays - l'Angleterre et les Etats-Unis - qui initialement lui étaient réfractaires s'est confirmée. Et comme dans le même temps il a fini de perdre en Europe tout ce qu'il comptait d'intellectuels acquis à sa cause, le contraste n'est que plus criant entre le renouveau que connaît le marxisme sur les campus d'Oxford, de Cambridge, d'Harvard ou de Stanford et sa quasi-disparition des universités européennes, où il est presque devenu de bon ton de ne jamais avoir pris l'auteur du Capital au sérieux.
Le marxisme qui prospère aujourd'hui en Angleterre et aux Etats-Unis est très différent de toutes les versions qu'en ont données la plupart de ses exégètes, de Georges Lukacs à Louis Althusser. Il s'agit d'un marxisme hybride, né de la rencontre avec la philosophie analytique, courant de pensée extrêmement influent aux Etats-Unis et en Angleterre, dont l'ambition est de faire progresser la connaissance en traquant les failles logiques des énoncés de langage. On parle d'ailleurs fréquemment de « marxisme analytique ».
De ce mariage pour le moins inattendu est sorti un marxisme considérablement épuré. Le philosophe Jon Elster (Karl Marx. Une interprétation analytique, Puf, 1989) est très représentatif de cette tendance à découper l'oeuvre de Karl Marx (1818-1883) en énoncés qui pour les uns méritent d'être conservés, et pour les autres doivent tout bonnement être oubliés. Pour J. Elster, il est par exemple erroné de dire que l'Etat est un instrument au service de la classe dominante.