Le terme « multiculturalisme » désigne aussi bien un fait (les sociétés sont composées de groupes culturellement distincts) qu'une politique (mise en oeuvre selon des modalités et des degrés divers) visant au final à la coexistence pacifique entre des groupes ethniquement et culturellement différents. De tout temps, des sociétés pluriculturelles ont existé et aujourd'hui moins de 10 % des pays peuvent être considérés comme culturellement homogènes. En revanche, le traitement politique de la diversité culturelle est un phénomène relativement récent. Il y a moins d'une trentaine d'années, les premières mesures politiques d'inspiration multiculturaliste furent mises en oeuvre en Amérique du Nord (Canada, Etats-Unis). Le débat sur le multiculturalisme y est récemment monté en intensité (années 1990) et s'est diffusé en Europe notamment. La doctrine multiculturaliste avance l'idée que les cultures minoritaires sont discriminées et doivent accéder à la reconnaissance publique. Pour ce faire, les spécificités culturelles doivent être protégées par des lois. C'est le droit qui va permettre de mettre en oeuvre les conditions d'une société multiculturelle.
Entre universalisme et différencialisme
Mais de quelles différences culturelles parle-t-on ? Souvent réduites à l'ethnicité (minorités ethniques autochtones ou minorités issues de l'immigration), voire à la « racialité », les différences culturelles ne concernent plus seulement les particularismes d'origine ou de tradition (religieuses, linguistiques). Les revendications se fondent de plus en plus sur des particularismes de moeurs (préférences sexuelles...), d'âge, de traits ou de handicaps physiques (obèses, aveugles, handicapés...), etc. Le multiculturalisme combat ce qu'il considère comme une forme d'ethnocentrisme (celui de la société blanche dominante). La politique monoculturaliste vise en effet à l'homogénéité culturelle par l'imposition d'une culture officielle (en premier lieu une langue nationale) s'affirmant comme la seule légitime : les autres cultures sont alors réduites dans le particularisme et la dépendance. Mais la conception du citoyen « oubliant » sa condition particulière pour incarner un prétendu universalisme s'accorde difficilement avec les conditions de la modernité. Avec la libération des moeurs et l'émancipation sexuelle, le privé a été massivement réhabilité, il revêt désormais un sens potentiellement politique. Cela peut paraître paradoxal, mais la revendication culturelle semble associée à l'individualisme moderne, à la primauté du « sujet singulier » (Alain Touraine). Elle émane de la subjectivité personnelle de ceux qui se reconnaissent dans tel ou tel particularisme et décident de s'engager collectivement dans des revendications identitaires.
Le débat d'idées entre universalisme et différencialisme, entre monoculturalisme et multiculturalisme fonctionne un peu comme un dualisme de la pensée. Il s'est d'abord organisé autour d'une querelle de philosophie politique nord-américaine : les libéraux (ou individualistes) soutiennent que l'individu est premier par rapport à sa communauté. Ils refusent les droits minoritaires qui risquent d'atteindre à la prééminence légitime de l'individu. Au contraire, les communautariens (ou collectivistes) estiment que les individus sont le produit des pratiques sociales et qu'il faut protéger les valeurs communautaires menacées par l'autonomie individuelle, et re- connaître les différences culturelles.