Dorian Gray est d’une très grande beauté. Cet avantage légué par la nature fait de lui la source d’inspiration de son ami artiste peintre. Fasciné, l’esthète réalise le portrait du jeune homme et, bien vite, cette toile lui apparaît être la plus belle œuvre qu’il ait jamais peinte. Dans le cœur du modèle, cependant, la fierté ne tarde pas à laisser place à l’amertume. Le portrait est amené à témoigner de sa fraîcheur éphémère. « Que n’est-ce à moi de rester toujours jeune, au portrait de vieillir ! Pour ce miracle, je donnerais tout. En vérité, il n’y a rien au monde que je ne fusse prêt à sacrifier ! Pour ce miracle, je donnerais mon âme » , s’exclame Dorian.
Mes fesses valent 200 millions d’euros !
Beauté, jeunesse, hédonisme…, le triptyque habilement mis en scène dans Le Portrait de Dorian Gray (1891) par le sulfureux Oscar Wilde n’en mène pas moins, au fil des pages, à la perte du héros. Au terme du livre, Dorian est retrouvé suicidé dans ses appartements, victime de sa vanité. Dans l’Angleterre victorienne du XIXe siècle, on ne saurait transgresser impunément le bon principe d’humilité face au corps et à la beauté, même en littérature.
En décembre 2006, le quotidien britannique The Times annonçait dans ses colonnes que la star de football David Beckham venait de signer un contrat d’assurance, lui offrant jusqu’à 149 millions d’euros en cas de blessure ou de dommage à son apparence. Monnaie courante ! Jennifer Lopez, dite J.Lo, chanteuse et actrice, a pour sa part assuré ses fesses pour 200 millions d’euros. Que l’on échange son âme contre sa beauté, à l’instar de Dorian Gray, ou que l’on capitalise sur sa plastique, sur le modèle des people , un seul mot d’ordre : mon destin se joue à travers mon physique, cultivons-le !
Pour se faire, les avancées médico-techniques, la chirurgie esthétique en premier lieu, mais aussi les programmes d’entraînement sportif et les conseils diététiques (largement relayés par les médias) sont des alliés contemporains. « De Madonna à Mariah Carey, écrit Hervé Juvin dans son ouvrage L’Avènement du corps (Gallimard, 2005), les icônes d’aujourd’hui ne sont pas belles, elles se sont faites belles. L’intensité du travail sur soi se voit et les rend belles et beaux. » Ainsi, le souci décomplexé de son physique est-il valorisé.