En 1972, deux utopies qui ne disaient pas leur nom étaient posées sur la table des décideurs. Les prospectivistes Donella et Dennis Meadows (avec Jørgen Randers et William Behrens) assenaient dans le rapport du club de Rome que les ressources planétaires étaient limitées et qu’il fallait en user sagement pour éviter une catastrophe au long terme. Friedrich Hayek, économiste, défendait au contraire qu’une croissance infinie était possible sous certaines conditions : retrait de l’État, marché optimisant la répartition des flux, et technologies multipliant la création des richesses sans changer le volume des ressources consommées. À chacun sa vision idéologique du monde qu’il fallait faire advenir : les Meadows préconisaient une planète solidaire et décroissantiste, quand F. Hayek et ses amis militaient pour une économie concurrentielle à même d’assurer le bonheur de tous par la liberté.
Entre Lumières et ténèbres
Le plus étonnant est que… les deux parties avaient raison. Prenons à témoin deux extrêmes. Écoutons d’abord le psychologue Steven Pinker 1. Digne épigone de F. Hayek, il s’emploie à démontrer que nous vivons dans une utopie accomplie : l’essentiel de l’humanité est sorti de la pauvreté ; nous vivons en moyenne deux fois plus vieux qu’il y a un siècle ; nous sommes huit fois plus riches ; etc. Et demain, nous serons toujours plus nombreux à jouir de cette abondance, rendue possible par l’accomplissement des Lumières. Mais…
Prêtons l’oreille au politique Yves Cochet. Pessimiste héritier des époux Meadows, il défend qu’il faille se résigner à un monde qui flambe toutes ses ressources et va s’effondrer. Pour s’en sortir, il faudrait accepter de consommer moins – ce à quoi nous nous refusons. Selon Y. Cochet, notre incapacité à admettre nos limites nous mène à la destruction, et les survivants devront réapprendre à vivre sobrement. Le bonheur ne sera plus dans la richesse matérielle, mais dans la capacité de se satisfaire de ce qu’on a.
Pour S. Pinker, l’utopie est dans le prolongement des tendances actuelles : la technologie rendra possible le bonheur pour tous. Pour son contradicteur, le futur porte en germe une épreuve suivie d’un retour à un âge d’or agricole, où l’humanité savait savourer le fruit de son dur labeur.