> Bertrand Hirsch
Professeur d’histoire à l’université Paris 1, spécialiste de la Corne de l’Afrique et du Sahel à l’époque médiévale.
Qu’appelle-t-on le Moyen Âge africain ?
Le terme même de Moyen Âge a été emprunté à l’histoire européenne. Il a le mérite de permettre des comparaisons. Il désigne la période qui va des débuts de l’islamisation au nord du continent au 7e siècle, jusqu’à l’arrivée des Européens à la fin du 15e. On peut aussi choisir de l’étendre jusqu’à la colonisation du continent au 19e siècle – un grand médiéviste comme Jacques Le Goff lui-même n’hésitait pas à prolonger le Moyen Âge européen jusqu’à la révolution industrielle… C’est bien sûr une convention, mais elle permet des comparaisons, et des dialogues avec les spécialistes d’autres périodes.
L’Afrique aurait donc une histoire avant l’arrivée des Européens…
Oui bien sûr ! Il est vrai que dans les années 1960, on a eu un débat sur ce sujet, lié au fait qu’on croyait alors que ces sociétés africaines n’avaient pas produit de sources écrites. Ce débat est aujourd’hui clos. D’abord on a des sources écrites, plus abondantes qu’on ne le pensait autrefois : certaines sociétés africaines ont en effet développé des écritures endogènes, ou adapté l’écriture arabe. D’autre part, on a « inventé » d’autres sources, à partir, par exemple, de l’analyse linguistique ou de l’ethnobotanique. Et bien sûr n’oublions pas l’apport, essentiel, de l’archéologie. C’est d’ailleurs l’intérêt de cette histoire médiévale africaine : elle nous oblige à pratiquer l’interdisciplinarité pour combler la faiblesse du régime documentaire.
Je prends l’exemple des sociétés khoekhoe, qu’on appelait autrefois hottentots. Les premières sources écrites sur ces sociétés sont les récits des voyageurs portugais au 15e siècle. Mais si on veut comprendre l’histoire de ces sociétés avant le 15e, on peut trouver des indices : il y a eu des travaux archéologiques sur des campements khoekhoe, des études faites sur les langues à clic : l’ensemble nous donne des indices pour comprendre cette société avant l’arrivée des Portugais. En revanche, la tradition orale, en laquelle on avait placé tant d’espoir dans les années 1960, s’avère finalement moins prometteuse qu’on l’espérait lorsqu’il s’agit de l’histoire ancienne, peut-être parce qu’on n’a pas assez pris en compte la dimension mythique de nombre de traditions orales. Ce serait d’ailleurs peut-être un dossier à rouvrir…