« OK boomer », « J'tdr ms suis oqp, ok ? » Le goût des jeunes pour les innovations linguistiques est un phénomène qui traverse les époques et les cultures. Selon Françoise Gadet, professeur émérite en sciences du langage à l'université ParisX et spécialiste des parlers jeunes 1 : « Pour se distinguer des adultes, les nouvelles générations se plaisent à inventer, avec un objectif ludique autant que cryptique, des manières de parler dont certaines finissent par se diffuser dans la société. » Pas question néanmoins d’y voir une véritable « langue », estime la sociolinguiste : « Pour l’essentiel, la syntaxe et la grammaire restent celles du français oral, les innovations sont d’ordre lexical. » Parmi ces dernières, on note les manipulations de mots telles que le verlan, ou des troncations comme dire zik pour musique. Les ados introduisent aussi des termes venus d’ailleurs : « Si l’emprunt aux langues étrangères est une modalité classique de production de nouveaux mots, les jeunes ont la particularité de piocher parmi les langues moins hégémoniques », rappelle la sociolinguiste, qui cite les fameux kif et seum issus de l’arabe, désignant respectivement une forme de plaisir et de rancœur, ou encore le verbe bouillave pour dire « faire l’amour » dérivé du romani.
Le phénomène ne se limite pas aux langues présentes dans les quartiers populaires mais inclut aussi les variétés régionales, comme le souligne Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française à Sorbonne Université qui a récemment publié un ouvrage de vulgarisation sur le sujet 2 : « À Marseille, de plus en plus de jeunes disent “fraté” pour s’interpeller. Le terme vient du corse “fratellu” qui signifie “frère” mais la vieille génération ne l’utilise pas, ce sont les ados qui l’ont mis au goût du jour. » Car si les jeunes contribuent au renouvellement du français populaire, ils sont aussi en partie les garants de sa continuité. Outre la transmission, de génération en génération d’ados, des termes d’argot traditionnel, les enfants restent ceux par qui perdurent les particularités régionales, affirme M. Avanzi : « Les régionalismes les plus ancrés sont ceux qui nous ont été appris dans l’enfance : ce sont les mots de la maison – pour parler de la nourriture, de la vie domestique – et les mots de l’école. Par exemple, il existe près de dix manières différentes de désigner, selon les régions, le classique crayon à mine de graphite », également appelé « crayon à papier », « crayon noir », etc.