Entretien avec Béatrice Pouligny

ONG : certains sont plus égaux que d'autres

Sciences Humaines :L'idée que les ONG forment une « société civile » ne masque-t-elle pas de grandes disparités entre les différentes organisations ?

Béatrice Pouligny : La perception commune est que de plus en plus de groupes et de particuliers établissent des relations transfrontalières auxquelles les Etats ne sont pas associés. Ce n'est pas faux, mais ils ne pèsent pas tous du même poids. En fait, les inégalités entre les acteurs sociaux sont très fortes dans l'accès réel à la scène internationale. Par exemple, produire des documents, les distribuer avant les réunions, envoyer des délégations comportant suffisamment d'individus pour suivre différentes négociations en même temps, avoir accès aux médias... sont autant d'activités très coûteuses et inaccessibles à l'immense majorité des organisations.

L'utilisation d'Internet, dont on dit souvent qu'elle constitue un puissant facteur de mobilisation de la société civile, est tout autant un facteur d'exclusion et d'inégalité pour ceux, les plus nombreux, qui n'y ont pas accès. En dehors de quelques actions médiatiques où l'on a besoin des gens de la « base » pour témoigner ou pour faire masse, l'action se discute et s'organise trop souvent au sein de comités restreints. Le champ de la société civile internationale est un champ hiérarchisé, le théâtre d'une compétition pour les ressources, le pouvoir et le prestige ; gommer cette asymétrie ou ces rapports de force reviendrait à se voiler la face.