Fermez les yeux et songez à un souvenir d’enfance. Il m’en revient personnellement quelques-uns de l’école maternelle. Je suis assis à une petite table (avec un encrier en porcelaine incrusté) et j’apprends à lire : devant moi, un livre ouvert avec une image de pipe, et cette phrase en couleur : la pipe de papi. D’autres bribes de souvenirs reviennent en chaîne. Dans la cour de récréation, il y a deux grands platanes et les feuilles jonchent le sol. Toujours dans la cour, avec un ballon, je tombe, je saigne du genou, j’essaie de ne pas pleurer.
Où se trouvent logés ces souvenirs ? Quelque part dans mon cerveau sans doute, mais où exactement ? Existe-t-il des neurones où seraient gravés les souvenirs du passé et que l’on pourrait localiser comme sur les pages d’un livre d’une immense bibliothèque intérieure ?

• Il n’y a pas de « centre de la mémoire »
En fait, nos souvenirs d’enfance, ceux des personnes connues, des objets, des connaissances générales n’ont pas une localisation précise dans le cerveau. Certes, l’hippocampe, ce petit noyau cérébral niché au cœur du système limbique joue un rôle déterminant dans l’enregistrement des nouveaux souvenirs : une lésion de l’hippocampe entraîne de graves amnésies dites rétrogrades. Mais on ne saurait dire pour autant que l’hippocampe est le « siège de la mémoire » : il ne fait qu’enregistrer et non stocker ni récupérer les informations. En fait, les souvenirs se trouvent distribués en plusieurs lieux et connectés entre eux. Essayez de vous souvenir de ce que vous avez fait hier après-midi : cela suppose une petite gymnastique intellectuelle qui mobilise la mémoire de travail, que l’on situe dans le cortex frontal. Ce « travail de mémoire » demande de la concentration, du raisonnement (voyons, hier, on était quel jour ?), la sélection d’informations… À ce stade, mémoire et réflexion s’entremêlent. Mais activer les souvenirs suppose aussi de faire resurgir des scènes qui font appel aux aires visuelles (la cour de l’école maternelle) et déclencher des émotions (où intervient l’amygdale, située à proximité de l’hippocampe). Cette émotion va mettre en branle d’autres souvenirs associés à l’enfance. Et les idées et images vont tout à coup surgir en fonction du processus analogique qui est l’un des moteurs de la pensée 1.