Où va le modèle social français ?

Tout le monde est d’accord : le modèle français fonctionne mal. Faut-il en changer ? Comment le faire évoluer ?

Les propositions émergent. 

On ne pourra pas dire que les sociologues manquent d’imagination. Difficile aujourd’hui de trouver, à gauche ou à droite, un défenseur du « modèle social français ». Quoi que l’on mette sous cette appellation, le constat d’un échec de la société française à assurer à chacun des conditions de vie décentes est largement partagé. Et même si nombre de travaux statistiques, sociologiques et économiques sur le chômage, la précarité, les inégalités en tous genres viennent alimenter ce constat, plusieurs publications ont très récemment insisté sur le profond décalage entre la vision officielle de la société et la réalité de la situation sociale. Ainsi le journaliste Louis Maurin et le philosophe Patrick Savidan, qui viennent de diriger L’Etat des inégalités en France 2007 (Belin, 2006), entendent par là « participer à réduire le décalage entre les discours sur l’état de la société française et sa situation réelle », encore plus sombre. De même, dans La France invisible (La Découverte, 2006), le sociologue Stéphane Beaud et les journalistes Jade Lindgaard et Joseph Confavreux, qui ont dirigé l’ouvrage, estiment-ils qu’« un sentiment de décalage profond prend (...) corps entre le vécu des Français et ses représentations dans les discours politiques, médiatiques, statistiques (...), écart encore accentué par le contraste entre l’inflation des outils de connaissance du monde social (...) et la pauvreté des solutions proposées aux crises de la société française ».
Pauvreté des solutions, peut-être, mais le débat a en tout cas commencé et, malgré l’air du temps « décliniste », les propositions sérieuses pour faire évoluer notre modèle social ne manquent plus. Autour du contrat de travail par exemple, le rejet du contrat première embauche (CPE) a donné toute sa vigueur aux débats en cours chez les économistes pour s’attaquer à la dualité CDI/ contrats précaires, qui tend à créer un marché du travail à deux vitesses, les avantages des uns se payant au prix de l’insécurité des autres. Les économistes Pierre Cahuc et Francis Kramarz ont par exemple proposé dans un rapport officiel (De la précarité à la mobilité : vers une Sécurité sociale professionnelle, La Documentation française, 2005) l’instauration d’un contrat unique à durée indéterminée, avec une procédure de licenciement simplifiée, en contrepartie de laquelle le salarié verrait en cas de perte de son emploi ses droits augmenter avec son ancienneté. D’autres chercheurs remettent en cause la philosophie paternaliste du système français, qui fait tout pour maintenir la relation entreprise-salarié alors que l’on pourrait agir pour améliorer la mobilité – professionnelle (par la formation notamment) et géographique – des travailleurs et faire en sorte que le licenciement ne soit plus un couperet. Bernard Gazier et Peter Auer citent ainsi en exemple dans leur récent ouvrage, L’Introuvable Sécurité de l’emploi (Flammarion, 2006), les « fondations de travail » autrichiennes. Mises en place en amont de l’annonce d’un plan social, ces fondations proposant divers services de formation et d’accompagnement sont financées par l’entreprise, par les partants (qui sont volontaires) mais aussi, pour une part très faible, par les salariés qui restent dans l’entreprise. Elles subsistent tant que de besoin, ce qui a l’avantage d’impliquer à la fois le salarié et l’entreprise dans sa réussite.