Penser en action

Pour marcher, saisir un objet, danser, planter un clou ou jouer d’un instrument de musique, on ne peut agir à l’aveugle. Il faut analyser son environnement, mesurer des mouvements et anticiper. Autant de formes de cognition élaborée que les chercheurs ont entrepris depuis peu d’explorer. En mettant fin à un clivage traditionnel entre l’action et la pensée.

Les hommes et femmes d’action seraient-ils nécessairement des êtres irréfléchis ? Pourquoi conseille-t-on de « réfléchir avant d’agir » ? Pourquoi oppose-t-on si souvent réflexion et action ? Cette dichotomie est très présente dans notre tradition philosophique. Alain Berthoz, professeur au Collège de France, conteste cette dichotomie et voit le cerveau comme « un simulateur d’action et un émulateur de la réalité ». Pour lui, c’est à partir de l’action, et non du langage, que nous construisons notre perception du monde. Une révolution qui s’inscrit dans les pas de philosophes tels que Maurice Merleau-Ponty et Edmund Husserl (1).
Ainsi, nos pensées ne se réduisent pas au langage, et nos émotions ne sont pas seulement une manière de réagir aux aléas du monde. Dans cette optique dynamique, nos pensées et nos émotions nous permettraient de préparer un contexte pour agir. Nous vivons ce que nous percevons et l’action elle-même contient toute la pensée (2). Pour preuve, le cas de certains patients souffrant du syndrome de persévération. Ces patients n’arrivent pas à prendre une décision et répètent toujours la même action. Ainsi, lorsqu’un nouveau programme d’action est initié par le patient, l’activité en cours n’est pas supprimée par la nouvelle action, qui n’est alors pas prise en compte. Il pourrait y avoir une sorte de compétition à chaque instant entre les éléments passés et futurs. Comme ils n’arrivent pas à se préparer à une autre action et que leur corps reste bloqué dans une action spécifique, ces patients ne peuvent plus planifier la suite des événements et donc prendre une nouvelle décision.
A. Berthoz postule que la perception est en quelque sorte une action simulée et une décision, comme une préparation à l’action. Nos zones appelées « prémotrices » s’activent effectivement avant l’effort, une manière de motiver notre esprit. Cet échauffement cognitif et cérébral serait très utile et essentiel aux sportifs. C’est ainsi que les skieurs reconnaissent mentalement la piste et ses virages ou qu’un acteur se met en condition au son du clap et du signal « action ». Et même lorsque ce n’est pas nous-mêmes qui exécutons l’action, mais que nous la voyons faire et que nous savons la faire, alors le cerveau fait comme si c’était lui qui la réalisait ! Par exemple, écouter une mélodie que l’on sait jouer n’empêche pas le cerveau de la jouer quand même, en recrutant les mêmes zones que si c’étaient nos propres mains qui tenaient l’instrument. Sans l’imagerie cérébrale, il serait difficile de connaître ce qui se passe dans notre organe de la pensée (3). Mais des signes extérieurs, taper du pied, balancer la tête ou claquer des doigts au rythme de la musique, sont autant d’indices du bouillonnement intérieur qui nous anime.