Pétrole, gaz, atomes : la richesse de l'Iran

Nombreux sont les pays qui se sont servis du pétrole iranien. Découvert en 1908 et exploité par une compagnie britannique (1), le pétrole de Perse a d’abord servi l’amirauté britannique. Pendant la Première Guerre mondiale et à l’initiative de Winston Churchill, l’Angleterre a abandonné le charbon au profit du pétrole pour ses navires allant aux Indes. L’Anglo-Persian Oil Company était un État dans l’État dans la province du Khouzistan, où était implantée la raffinerie d’Abadan, longtemps la plus grande du monde. Dans sa « capitale », Ahwaz, le quartier britannique était « interdit aux Iraniens et aux chiens ».
En 1932, la fin de la concession pétrolière est imposée aux Britanniques par le nouveau souverain iranien Réza Pahlavi. Elle permet au nouveau pouvoir d’avoir le minimum de revenus pour construire un État moderne (premier budget en 1933) mais pas assez pour développer le pays. Jusqu’en 1941, le pétrole consommé à Téhéran est importé de Bakou.
Le pétrole entre vraiment dans l’histoire iranienne avec la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company par le gouvernement nationaliste de Mohammad Mossadegh le 15 mars 1951. Cette prise de contrôle d’une compagnie coloniale, dans le contexte tiers-mondiste et de la multiplication des révoltes dans les anciennes colonies, a un retentissement international exceptionnel. Le modèle iranien inspire d’ailleurs Nasser pour nationaliser le canal de Suez. Le coup d’État organisé en 1953 par la CIA nouvellement créée permet aux Américains, déjà actifs en Arabie Saoudite, d’entrer de plain-pied dans la région. Ils lancent la production pétrolière du Koweït, et surtout, mettent la main sur la politique iranienne et le pétrole, avec la constitution du Consortium qui va exploiter durablement et sans problème le pétrole iranien jusqu’en 1973. Le profond traumatisme provoqué par cette « guerre froide » du pétrole continue de toucher les Iraniens de toutes sensibilités politiques. Lorsque le président islamiste Mahmoud Ahmadinejad plaida devant l’Assemblée générale de l’Onu pour sa politique nucléaire, il avait en mémoire l’intervention de Mossadegh dans la même enceinte.

Un pétrole synonyme de malheur ?

Par la suite, le conflit change de nature, la priorité allant à l’augmentation des recettes pétrolières. Mohammad-Réza Pahlavi joue un rôle très actif dans l’augmentation du prix du baril de brut de 2,9 à 11,60 dollars lors des réunions de l’Opep à Koweït en octobre 1973 puis à Téhéran en décembre. Le pétrole occupe alors une place écrasante dans l’économie iranienne (76 % des exportations). La production augmente de 2 millions de barils/jour en 1965 à 6 millions de b/j en 1977, donnant enfin à l’État iranien les moyens d’équiper le pays (routes, hôpitaux, écoles…) et d’améliorer le niveau de vie des habitants. Mais en important des biens de consommation au lieu de développer l’industrie nationale, la rente pétrolière enferme l’Iran dans une « prison dorée ».
Il est fréquent que les nationalistes iraniens parlent de leur richesse en pétrole comme d’un malheur, car elle a attiré les convoitises internationales et bloqué l’indépendance et le développement du pays. Les rêves de fonder une nouvelle économie autocentrée sur le monde rural ont fait long feu. Après la guerre Irak-Iran qui a provoqué la chute de la production, la politique pragmatiste et de privatisation conduite par Hachemi Rafsandjani a donné la priorité à l’augmentation des ressources pétrolières. En vain. L’Iran est en effet victime d’un double embargo, l’un imposé par les États-Unis (2), largement contourné par l’intermédiaire de Dubaï, et l’autre bien plus efficace, voulu par la politique nationaliste du gouvernement islamique qui a refusé jusqu’en 2002 tout investissement étranger (3). L’Iran n’a donc pas les moyens financiers, techniques et scientifiques pour atteindre son objectif de 4 millions b/j (200 millions de tonnes par an) (4).
L’Iran dispose pourtant de réserves gigantesques (137 milliards de barils). Il sera avec l’Arabie Saoudite et la Russie, le pays qui produira le plus longtemps du précieux liquide noir. Mais la production iranienne de pétrole stagne ou régresse alors que la consommation intérieure de produits pétroliers est en hausse régulière de 4 % par an. Faute de capacités suffisantes de raffinage, l’Iran doit même importer 40 % de son essence. Avec 70 millions d’habitants et un développement économique rapide (5 à 7 % par an), l’Iran est devenu un grand pays consommateur d’énergie (15e rang mondial) et non plus seulement un producteur.
En extrapolant ces tendances, il est possible que l’Iran soit déficitaire en matière pétrolière à une date qui peut être discutée (5), mais qui met en évidence la complexité nouvelle des rapports entre détention de réserves, production, consommation, investissements et relations politiques. De plus, l’Iran, comme tous les autres pays, verra sa production rapidement décliner après avoir atteint son pic de production. En Iran, on a pris conscience de la nécessité de rentabiliser au mieux ces ressources fossiles limitées qui ont dominé le xxe siècle. On insiste sur le « pillage » du pétrole par les pays consommateurs en oubliant le gaspillage des gouvernements iraniens successifs qui ont tous cédé aux facilités de l’économie de rente. En juin 2007, le rationnement de l’essence et l’augmentation du prix (1 000 rials, soit 9 centimes d’euro le litre) sont réalistes, mais on est encore loin d’une gestion rationnelle de ce qui continue de faire la fortune plus ou moins légale des élites et des organisations paraétatiques.
Au niveau international, l’arme du pétrole reste au cœur des scénarios pour contraindre l’Iran à appliquer les résolutions de l’Onu sur le nucléaire. Aux États-Unis, un « Devestment Act » est à l’étude par les sénateurs Sam Brownback (républicain) et Barack Obama (démocrate) pour contraindre les entreprises étrangères à quitter le pays. On parle de bloquer le détroit d’Ormuz aux navires transportant du pétrole entrant ou sortant d’Iran, tandis que l’Iran menace en retour de bloquer le détroit par où passe 60 % du pétrole mondial. Autant de scénarios irréalistes fondés sur la situation de 1951. À cette époque le Royaume-Uni et les États-Unis étaient sans rivaux dans la région, les autres pays du golfe Persique n’exportaient pas leur pétrole, la Chine et le Japon n’étaient pas dépendants du pétrole iranien. L’Iran était alors un pays sans cadres ni ingénieurs et ne consommait que très peu de pétrole. La « guerre du pétrole » conserve son impact médiatique. La volonté actuelle de sanctionner l’Iran, pays de « l’Axe du mal », est bien réelle, mais on peut aussi se demander si les États-Unis ne cherchent pas à faire place nette avant de retrouver leur place sur le marché iranien.