« Entre 20 et 60 ans, vous allez perdre 40 % de vos capacités intellectuelles. Si vous atteignez l’âge de 70 ou 90 ans, vous connaîtrez des déclins encore plus accentués. »
À la tribune, Patrick Lemaire, directeur de l’équipe Plasticité et vieillissement cognitif du CNRS, n’y va pas par quatre chemins et attaque son intervention sans détour. Ce jour-là, le Centre d’analyse stratégique organisait une journée d’étude sur le vieillissement cognitif et les spécialistes étaient invités à présenter leurs travaux (1). S’adressant à un public plus très jeune, P. Lemaire poursuivait en tempérant : « Les déclins seront amoindris si vous avez suivi un long parcours scolaire. (…) Ils peuvent être limités par une vie professionnelle riche et stimulante. » Mais pour ajouter aussitôt l’existence de facteurs aggravants. Et parmi eux les… divorces répétés : « Divorcer à trois reprises avant l’âge de 60 ans multiplie ainsi par cinq le risque de déclin cognitif. »
Après cette brutale entrée en matière, P. Lemaire concluait son introduction en souriant : « Je vous souhaite la bienvenue à cet après-midi consacré au vieillissement cognitif ! »
La suite de son exposé reprenait les éléments fondamentaux de ce que l’on sait aujourd’hui sur le déclin cognitif. Premièrement : oui, le déclin cognitif est irrémédiable. On ne peut pas empêcher de vieillir : avec l’âge, le corps se dégrade, le cerveau aussi. Les capacités physiques déclinent, les capacités intellectuelles également.
Cela dit, ce déclin cognitif est tout d’abord très variable selon les individus (2). Ensuite, il varie également selon les capacités considérées : la mémoire est plus affectée que le langage par exemple. Reprenons cela dans le détail.
Quand débute le déclin ?
Le déclin cognitif commence dès 45 ans, voilà ce qu’affirmait une étude parue au printemps 2012 et qui a fait grand bruit. Cette enquête menée par les chercheurs de l’Inserm et d’University College de Londres semblait démontrer un début de déclin des capacités cognitives dès le milieu de vie. C’était une mauvaise nouvelle pour ceux qui pensaient que le déclin cognitif commençait plus tard, à partir de la soixantaine. Mais on pouvait aussi considérer les choses autrement et se dire qu’après tout 45 ans est encore un bel âge pour atteindre son pic intellectuel. En fait, il n’en est rien. Quand on regarde l’enquête de près, on s’aperçoit que 45 ans n’est pas l’âge du début du déclin cognitif. Les chercheurs ont mené leur étude sur une population de 7 000 personnes (5 198 hommes et 2 192 femmes) âgées de 45 à 70 ans (3). Or 45 ans est l’âge des personnes les plus jeunes de l’échantillon ! Rien ne permet de dire que si l’âge minimal de la cohorte avait été moins élevé, de l’ordre de 35 ans ou 30 ans, on n’aurait pas mesuré déjà un déclin. Une autre information essentielle relativise les conclusions trop hâtives : il existe des différences très fortes d’une personne à l’autre dans l’évolution des capacités cognitives. Il apparaît même qu’une proportion de l’échantillon réalisait les mêmes performances que dix ans plus tôt. Quand on parle de déclin cognitif, il importe donc d’être prudent et de préciser de quoi on parle.