Peut-on vraiment changer ?

« Deviens ce que tu es », exhortent certains chantres du développement personnel. « Balivernes ! », répondent les psychologues. Enquête auprès de quatre experts…

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• Catherine Clouzard
Gestalt-thérapeute, elle a écrit 50 exercices de Gestalt (Eyrolles, 2013), Sous les peurs, le bonheur. Agir pour être heureux (Eyrolles, 2014).

• Michèle Declerck
Psychologue, psychanalyste et sophrologue, elle a publié notamment Peut-on changer ? Pourquoi, comment et à quel prix ? (Eyrolles, 2006) et Le Principe de précaution, ou comment rater sa vie en essayant de la sauver (L’Harmattan, 2014).

• Camille Lagrenaudie
Coach et formateur, il est l’auteur, avec Alexandre Bernhardt, de plusieurs ouvrages dont Êtes-vous ce que vous voulez être ? Manuel de réalisation de soi dont vous êtes le héros (Équation de la conscience, 2012) et Êtes-vous le parent que vous voulez être ? Manuel d’une parentalité accomplie dont vous êtes le héros (Équation de la conscience, 2013). Voir son site jesuiscequejeveuxetre.com.

• Jean-Louis Monestès
Psychologue et directeur de recherches au pôle de santé mentale de La Réunion, il a écrit, entre autres, La Thérapie d’acceptation et d’engagement. ACT (avec Matthieu Villatte, Elsevier Masson, 2011) et Libéré de soi ! Se réinventer au fil des jours (Armand Colin, Paris, 2013). Voir son site www.flexibilitépsychologique.fr.

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Abordez le thème du changement de vie en interrogeant des spécialistes issus de disciplines complètement différentes, et voilà que tous s’accordent, d’emblée, à démolir l’un des adages, si ce n’est des slogans, les plus incontournables du développement personnel : « Deviens ce que tu es. » Devenir ce que nous sommes, c’est supposer que nous pouvons nous dépouiller de tout ce qui nous entrave, nous défigure, nous amoindrit, pour laisser place enfin à notre vrai « moi », cohérent, invariable, notre noyau dur, notre diamant partiellement enseveli. Bas les masques, halte aux compromis, et place à la métamorphose, à l’éclosion, à la révélation.

Bien dans sa peau, sans en changer

En fait, bernique : « C’est de l’ordre de l’utopie. Cela repose sur un moi idéal souvent infantile, reflétant une certaine perfection. Or c’est un leurre : le moi n’est jamais qu’une image qu’on se fait de soi-même. » Propos signés Michèle Declerck, psychanalyste. À l’opposé de l’échiquier psy, Jean-Louis Monestès, qui applique les TCC, reprend exactement le même terme de « leurre » : « Chercher après un moi, ‘‘vrai’’, ‘‘idéal’’, est à mon avis un leurre. Le moi n’existe pas en tant que tel, c’est uniquement le produit perpétuellement changeant d’un ensemble d’expériences, c’est un mouvement, comme le vent. Et c’est comme le bonheur : si c’est un idéal, vous ne l’atteindrez jamais, et vous passerez à côté de ce que vous vivez dans le présent. Car si vraiment il doit y avoir un ‘‘vrai’’ moi, c’est celui qui existe ici et maintenant. » Catherine Clouzard, gestaltiste, enfonce le clou en reprenant, elle, l’idée de mouvement : « Le soi n’est pas immuable, tout est mouvement. Plutôt que ‘‘Deviens ce que tu es’’, il faudrait donc dire : ‘‘Suis ton mouvement naturel.” » Donc, plutôt que « Deviens ce que tu es », nous devrions inverser la proposition en : « Sois ce que tu deviens. » Oui, et même : « Sois ce que tu es, ici et maintenant, le mieux possible. »

Bien sûr, la variation sur le même thème de type « Redeviens ce que tu es », l’enfant que tu fus avant de te perdre sous la pression sociale et les aléas des circonstances, relèverait de la même illusion. Le paradis n’est ni caché, ni perdu. Il est maintenant ou il n’est pas.

Nous voilà dans de beaux draps. Si on ne change pas pour devenir soi, que peut-on vraiment changer dans sa vie ? Si tout est mouvement, doit-on se contenter de se laisser porter ? Mais si le mouvement ne nous plaît pas ? Prenons le problème autrement : quel est le plus petit dénominateur commun à l’envie d’une nouvelle vie, que ce soit en changeant d’habitudes, de conjoint, de travail, de religion, etc. ? C’est tout simplement vouloir se sentir mieux dans sa peau, pas en changer. Plutôt que s’améliorer, il s’agit d’être heureux. « Le changement procède d’un malaise, explique M. Declerck : on n’est pas bien dans sa vie, son statut. Au lieu de changer pour, on change généralement contre. » Or s’il s’avère relativement facile de discerner « pourquoi » on veut changer, il n’est pas toujours si aisé de définir le « pour quoi », en deux mots. « Les patients veulent que quelque chose change, mais sont souvent incapables de vous dire comment ils aimeraient être, observe J.L. Monestès. Ce qu’ils vous disent, c’est : ‘‘Je me sens triste, anxieux, abandonné, pas à la hauteur… Enlevez-moi ça !’’ »