Chacun de nous a fait l'expérience du conflit, et ce depuis l'enfance. En raison de sa nature sociale, l'être humain est inéluctablement amené à s'opposer à autrui de temps en temps. Deux démarches facilitent la résolution des conflits sans faire usage de violence : la négociation et la médiation. La première est, depuis longtemps, utilisée dans le monde du travail et dans les relations internationales. La seconde, qui repose sur l'intervention d'une tierce partie, se développe fortement aujour-d'hui dans des domaines très divers, tels la médiation familiale lors d'un divorce ou des conflits armés entre Etats.
Examinons tout d'abord quelques caractéristiques essentielles d'une négociation, en nous concentrant sur les relations internationales. Prenons l'exemple des accords de Camp David en 1978. Au départ, les positions des deux parties semblent parfaitement inconciliables. Il y a d'un côté le président égyptien Anouar El Sadate qui insiste pour que la péninsule du Sinaï (prise par Israël durant la guerre de 1967) soit rendue à son pays et de l'autre, le Premier ministre israélien Menahem Begin qui refuse de céder un seul centimètre. Ces deux adversaires sont pourtant parvenus à un accord. Avec l'aide du président Jimmy Carter, ils ont analysé leurs véritables intérêts dans le conflit. La préoccupation de l'Egypte est la restitution de la terre qu'elle possédait depuis l'Antiquité et celle d'Israël est de se protéger d'une éventuelle attaque terrestre ou aérienne. Finalement, le Sinaï revient à l'Egypte, tandis que de vastes zones démilitarisées doivent assurer la sécurité des Israéliens.
Une leçon peut être tirée de cette négociation israélo-égyptienne. Pendant de nombreuses années, les chercheurs sont partis du postulat que, dans une négociation, chaque partie tente de percevoir le maximum de gain, au détriment de son adversaire. Tous les modèles mathématiques de la négociation (tels que la théorie des jeux) ainsi qu'une grande partie des recherches expérimentales supposent cette orientation individualiste. Or, les choses sont plus complexes et il est rare qu'une personne ne tienne pas compte de la position de son adversaire.
La conception aujourd'hui dominante chez les chercheurs est que les négociateurs qui manifestent un intérêt élevé à la fois pour eux et pour l'autre partie atteindront plus souvent des résultats mutuellement satisfaisants 1. Ainsi, contrairement à une idée répandue de la négociation, l'augmentation des bénéfices de l'un n'entraîne pas automatiquement une réduction des avantages de l'autre. On parle d'accord « gagnant-gagnant » pour désigner ce type de situation profitable aux deux parties. L'ouvrage qui a le plus contribué à la diffusion de cette conception est Comment réussir une négociation, rédigé par trois juristes américains et vendu à plus de deux millions d'exemplaires dans sa version originale 2. Ses auteurs proposent la méthode de « négociation raisonnée ». Appelée également « négociation sur le fond », elle préconise une recherche des avantages mutuels. Ses initiateurs affirment que cette approche « favorise l'honnêteté et la bonne foi des négociateurs tout en les protégeant contre une éventuelle exploitation de cette honnêteté et de cette bonne foi par un adversaire déloyal ».
L'intérêt de la négociation raisonnée est d'autant plus grand que des études montrent clairement les limites de deux autres stratégies consistant soit à adopter une position dure constante soit à faire de multiples concessions. Russel J. Leng et Hugh G. Wheeler, politologues à Middlebury College, ont ainsi analysé les effets de diverses stratégies dans des conflits graves du xxe siècle 3. Dans six cas où une nation utilise une politique d'apaisement systématique, il en résulte cinq défaites diplomatiques et une guerre. Parallèlement, sur treize cas où le pays adopte une position dure (menaces et usage de la force), neuf ont abouti à la guerre, deux à une vic- toire diplomatique et deux également à un compromis.