Pour et contre John Locke

Les thèses sur le contrat social du philosophe John Locke (1632-1704) suscitent de vives réactions – de soutien comme de critique – chez ces femmes lettrées.

Catharine Trotter Cockburn (1679-1749), “Excellent Mr. Locke”

Née à Londres dans une famille protestante, Catharine Trotter grandit dans un milieu modeste, peu propice au développement intellectuel d’une jeune fille. Elle se convertit au catholicisme dans les années 1690, puis revient vers l’Église d’Angleterre peu avant son mariage avec le révérend Patrick Cockburn en 1708. Dès les années 1690, C. Trotter écrit des pièces de théâtre qui sont jouées sur la scène londonienne et lui confèrent une certaine notoriété en tant qu’autrice de textes dramatiques. Elle se consacre ensuite à l’écriture d’ouvrages de théologie et de philosophie.

Dès 1702, alors qu’elle n’a qu’une vingtaine d’années, C. Trotter fait paraître de manière anonyme une défense de l’Essai sur l’entendement humain de John Locke, ouvrage majeur de la tradition empiriste qui s’interroge sur les fondements et les limites de la connaissance. Dans une lettre à J. Locke donnée en préface à sa Défense, C. Trotter explique que l’Essai est un objet d’utilité publique et que donc chacun a le droit mais aussi le devoir de le défendre. C’est au nom de la religion qu’elle écrit, estimant que les principes de J. Locke la renforcent dans un contexte où l’athéisme est plus répandu que jamais 1. Selon C. Trotter, les critiques de J. Locke – en particulier un certain nombre de théologiens anglais – promeuvent une pensée dépassée, qui s’appuie sur l’enseignement des écoles pour faire croire qu’on peut parvenir à la connaissance d’objets en réalité inaccessibles à l’entendement humain. Elle explicite la pensée de J. Locke sur la religion naturelle ou morale, sur la religion révélée et surtout sur l’immortalité de l’âme, trois domaines dans lesquels l’Essai est jugé dangereux par ses détracteurs. C. Trotter défend en particulier la définition lockienne de l’identité personnelle par la conscience, dans laquelle elle voit peut-être le moyen d’affranchir les femmes de leur traditionnelle association au corps. Si l’influence de C. Trotter dans l’histoire de la philosophie reste à montrer, sa défense de l’Essai a été attribuée à J. Locke lui-même dans un premier temps et a d’ailleurs été louée par le philosophe anglais dans une lettre qu’il a adressée à C. Trotter : « Il n’y a rien de plus public que l’honneur que vous m’avez fait, et rien de plus privé que la personne à qui je le dois. Cette générosité est bien au-dessus de la vilenie de ce monde ; c’est celle des esprits supérieurs, qui soutiennent sans se montrer 2. » Sandrine Parageau