La notion de décroissance revient régulièrement dans le débat public, depuis la parution du rapport Meadows, « Les limites à la croissance » (1972), véritable initiateur du mouvement. Le mot lui-même apparaît pour la première fois dans un article du Nouvel Observateur sous la plume d’André Gorz, un des principaux théoriciens de l’écologie politique.
Face au réchauffement climatique ou à la perspective d’un épuisement des ressources naturelles, de plus en plus de voix s’élèvent alors pour dire que les économies occidentales doivent volontairement décroître. L’économiste Timothée Parrique définit la décroissance comme une « réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être 1 ». Mais l’idée d’un ralentissement de l’économie, faisant craindre une augmentation de la pauvreté, a du mal à passer. Sachant que de nombreux économistes estiment à la fois que la croissance, qu’on l’appelle durable ou non, est le meilleur remède contre la crise climatique et que le discours sur l’épuisement des ressources, entendu depuis des décennies, s’apparente à une arlésienne. La décroissance risquerait même d’engendrer plus de maux qu’elle est censée en prévenir. Entre les partisans de la croissance et de la décroissance, le débat fait rage, sans terrain d’entente possible...
La misère du monde
Un des premiers contentieux qui les oppose concerne la misère du monde. Grâce à la croissance des deux derniers siècles, la mortalité infantile a fortement diminué, la médecine s’est développée, les conditions de vie se sont considérablement améliorées, etc. Les partisans de la décroissance estiment toutefois que l’humanité a « mangé son pain blanc » et qu’il faut maintenant viser la sobriété. Pour leurs opposants, ce serait oublier que, dans de nombreux pays, l’espérance de vie reste faible, la faim sévit toujours, des maladies bénignes en Occident font encore des ravages, etc. Pour les partisans de la croissance, seule cette dernière permettra de réduire cette misère.
Bien sûr, il ne s’agit pas pour les promoteurs de la décroissance, d’abandonner les miséreux de ce monde : ils proposent donc que la décroissance ne concerne que les pays riches.
Mais, à l’instar de l’essayiste Ferghane Azihari, les défenseurs de la croissance reprochent aux décroissantistes d’ignorer que « nous vivons dans des sociétés interdépendantes, où chacun voit sa prospérité dépendre des capacités productives de son voisin, éventuellement plus riche 2 ». D’ailleurs, soulignent-ils, la pandémie du covid-19 a montré qu’une baisse soudaine de la consommation dans le monde riche était néfaste aux pays en développement. À cette critique, les partisans de la décroissance soulèvent deux objections. Premièrement, avec Vincent Liegey ils rappellent que « décroissance n’est pas synonyme de récession 3 » : alors que la récession correspond à une baisse de l’activité économique tous secteurs confondus, la décroissance ne concerne que des domaines censés ne pas affecter le bien-être de la population, comme la mode ou tout ce qui participe de la surconsommation. Deuxièmement, ils soutiennent avec l’anthropologue Jason Hickel « que le développement des pays du Sud ne dépend pas d’une croissance mondiale globale 4 ».