Par quel itinéraire intellectuel êtes-vous arrivé à la sociologie ?
Dans les années 1960, je désirais m’orienter vers les sciences humaines mais sans avoir précisément quelle discipline choisir. À cette époque, la philosophie se trouvait discréditée. J’étais tenté par l’économie, mais cette discipline me paraissait déjà installée. J’avais le sentiment qu’il fallait rester sur des rails préconstruits et qu’il n’était possible que d’ajouter quelques appendices à ce qui existait déjà. En fait, c’était une illusion puisqu’il y a eu une crise de l’économie une quinzaine d’années plus tard.
J’avais l’impression que la sociologie était plus intéressante parce qu’elle me semblait moins cristallisée, encore confuse en raison d’approches très diverses. Ce sont donc des intérêts intellectuels plutôt que sociaux qui m’ont amené à la sociologie.
Parmi les enseignants de renom de cette époque, quels sont ceux qui vous ont le plus apporté ?
En France, je me sentais surtout attiré par Jean Stœtzel qui apparaissait assez marginal parmi les sociologues en raison de sa volonté de faire un travail véritablement scientifique. Mais c’est surtout Paul Lazarsfeld qui incarnait, à mes yeux, cette volonté de faire de la sociologie une science. Grâce à une bourse, j’ai passé un an à l’université de Columbia en 1962 auprès de P. Lazarsfeld qui a été ainsi mon véritable maître. Mais je devais être un peu naïf à l’époque puisqu’en fait, les mathématiques n’ont jamais eu en sociologie l’importance qu’on imaginait alors qu’elles prendraient.
En consultant l’ensemble imposant de vos publications, il transparaît chez vous un projet intellectuel grandiose qui est d’embrasser toute la sociologie.
Mes livres peuvent être classés en deux grandes catégories. Certains sont le résultat d’un intérêt personnel, d’autres le produit de ce que je considère comme un devoir pédagogique. Je pense, en effet, que cohabite, sous le vocable « sociologie », une très grande diversité d’approches. J’ai toujours considéré que mon devoir pédagogique était d’extraire de cette diversité ce qui me semblait le plus important et le plus fécond. Les manuels que j’ai écrits ont donc pour but d’aider les étudiants à faire des distinctions intellectuelles, à essayer de s’y retrouver dans cet ensemble multiforme appelé sociologie. C’est un souci didactique et non hégémonique. Ces distinctions existent dans le réel et je ressens la responsabilité de les faire percevoir.