Pourquoi l'alcool rend-il violent ?

Nous croyons que si l’alcool peut rendre violent, c’est uniquement parce qu’il agit sur l’organisme. En réalité, des effets de contexte et de culture jouent également un rôle déterminant.

L’alcool est considéré comme la substance la plus fortement liée aux conduites agressives. Dans une recherche portant sur 9 300 criminels issus de 11 pays différents, il a par exemple été montré que 62 % des délinquants violents avaient bu avant de commettre une agression. Tous les types de violences sociales peuvent d’ailleurs être liés à l’alcool, chez l’auteur des faits comme chez la victime : les violences sexuelles, ou dans les services d’urgence hospitalière, dans l’armée, dans le domaine sportif (l’« alcooliganisme »), mais aussi les maltraitances d’enfants… En France, selon une récente étude, 6,5 % de la population a déjà participé à une bagarre dans un lieu public. Parmi ces sujets, 40 % avaient bu de l’alcool dans les deux heures qui avaient précédé les faits (1). Par ailleurs, les femmes consommant beaucoup d’alcool semblent plus fréquemment victimes de coups et blessures (2). L’agression est généralement constatée avant le pic d’alcoolémie. Au-delà, l’alcool rend plutôt somnolent.

Comment expliquer ce lien entre consommation d’alcool et conduites agressives ? Certaines explications mettent l’accent sur la désinhibition provoquée par les fluctuations, sous l’effet de l’alcool, de certains neurotransmetteurs, notamment dans une partie de notre cerveau, le cortex préfrontal, impliquée dans le contrôle de nos comportements. Ce n’est pas suffisant : lorsque des sujets alcoolisés ne sont pas provoqués, il est rare qu’ils se montrent agressifs. La violence liée à l’alcool n’est pas uniquement une question neurobiologique, mais dépend du contexte. La consommation d’alcool se déroule souvent dans des lieux bondés, bruyants, parfois surchauffés, propices à outrepasser les normes sociales. La violence dans les bars résulte fréquemment d’une tentative manquée d’obtenir encore de l’alcool. En outre, les bouteilles et les verres sont utilisés comme des armes dans près de 20 % de ces incidents. Par ailleurs, sous l’effet de l’alcool, les aspects les plus saillants de la situation immédiate (intimité d’une conversation, désir sexuel, irritation…) prennent le pas, par exemple, sur l’évaluation des conséquences à long terme de nos comportements. Enfin, une simple bousculade sera jugée plus hostile, car non accidentelle (selon un « biais d’intentionnalité ») (3). Après une consommation d’alcool, l’interprétation de la situation est donc appauvrie. On parle parfois de « myopie alcoolique » pour qualifier ces réactions désinhibées où l’impulsivité et l’assurance de son bon droit l’emportent.

 

Perturbations cognitives et contexte

Des recherches ont également montré que l’alcool nous fait sentir plus séduisants qu’en temps normal, et même moralement supérieurs à autrui. Paradoxalement, les personnes alcoolisées mentionnent moins fréquemment des pronoms comme je, moi, moi-même, moi. Elles se valorisent, tout en se sentant moins responsables de leurs actions. Enfin, une personne déprimée qui boit de l’alcool sans parvenir à se distraire en même temps risque de renforcer l’humeur désagréable qu’elle cherchait pourtant à noyer, car l’alcool conforte les émotions qui dominent lorsque l’on en consomme. Ce phénomène est important pour expliquer les effets de l’alcool sur l’humeur.